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envoyé un émissaire pour débattre les conditions de son retour, de ses relations avec son fils. Si la reine revient à Belgrade malgré la volonté du roi Milan, n’en résultera-t-il pas des crises nouvelles ? Dans tous les cas, les événemens de Serbie ressemblent à un échec pour l’Autriche et ne peuvent que profiter un jour ou l’autre à la Russie. C’est le commencement ; mais ce n’est pas seulement en Serbie et en Bulgarie que tout est incertain, que la lutte des influences est ouverte. La crise la plus curieuse, la plus grave peut-être est celle qui se déroule depuis quelques jours à Bucharest, et où le roi Charles de Roumanie ne laisse pas d’être lui-même engagé.

Au fond, de quoi s’agit-il dans cette crise de Bucharest ? C’est la suite d’un mouvement ininterrompu, irrésistible, contre une politique qui s’est imposée à la Roumanie depuis quelques années. Lorsque M. Jean Bratiano, qui s’était fait pendant longtemps une dictature sans scrupules, tombait vaincu par l’opinion, dépopularisé par sa diplomatie, aussi bien que par les excès de son administration intérieure, un nouveau ministère s’était formé avec M. Rosetti et M. Carp. Ce ministère, sans donner toute satisfaction aux conservateurs et aux libéraux qui avaient combattu ensemble M. Jean Bratiano, qui triomphaient ensemble aux élections, pouvait néamoins passer pour un pouvoir de transaction. Son illusion ou son malheur a été de se croire assez habile pour jouer avec tous les partis, pour se créer une majorité dans le parlement et lui faire accepter sa politique. C’est là qu’il s’est trompé ! Il n’a réussi qu’à susciter contre lui une opposition des plus vives dans les camps mêmes où il aurait pu chercher des appuis. Il n’a trouvé qu’une majorité disposée à résister, et il n’a pas pu même empêcher un vote prononçant la mise en accusation de M. Jean Bratiano. Vainement alors il a essayé de se rapprocher des conservateurs et des libéraux en faisant appel au concours de quelques-uns de leurs représentans, M. Lahovary, M. Vernesco, le général Mano : les dissentimens n’ont pas tardé à éclater avec plus de vivacité que jamais, et la démission du ministère est devenue une nécessité. C’est là toute la crise. M. Carp, qui a été sinon le chef du dernier cabinet, du moins l’inspirateur et le diplomate du gouvernement depuis quelque temps, est assurément un homme d’esprit, quoique affecté d’une certaine suffisance doctrinaire. Il est tombé pour avoir trop cru à son habileté, — pour avoir voulu aussi soutenir jusqu’au bout une politique qui tendrait à asservir la Roumanie à la triple alliance, à l’influence austro-allemande, — et ce qu’il y a de plus grave, c’est qu’en réalité c’est là toute la politique du roi : de sorte que, dans cette crise, c’est le souverain lui-même qui est engagé. Le roi aurait voulu sans doute pouvoir refaire un ministère avec M. Carp et M. Rosetti, il n’a pas réussi. Il a essayé d’organiser un cabinet de transition et d’attente avec le général Floresco, il n’a pas été plus heureux. Il n’a plus eu d’autre ressource que de s’adresser à