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administration douteuse, de son catholicisme enfin, M. de Treitschke ne dissimule pas son mépris ; mais il est partisan absolu de l’intégrité de cet empire, dont la dissolution ébranlerait l’Allemagne. Il souhaiterait même que l’alliance avec l’Autriche fût resserrée par une union douanière. — Sur les rapports de l’empire germanique avec la Hollande, il est plein de contradictions, de réticences et de vagues menaces. « L’existence de la confédération suisse est une nécessité européenne, celle des deux royaumes des Pays-Bas ne l’est pas… L’unité de l’empire, de la Baltique au lac de Constance, ne se laissera pas arrêter par le cri des petits peuples qui ne peuvent oublier les jours de leur grandeur passée. » Tout en réservant l’avenir, M. de Treitschke se contenterait pour le moment d’une alliance politique et commerciale « qui peut nous apporter la libre concurrence pour notre commerce, et, aux Pays-Bas, pour leurs colonies, une protection militaire que leur propre puissance ne leur procure plus. » — L’Angleterre est l’objet de sa plus violente antipathie ; il traite ce peuple de lâche, de cruel, d’égoïste, d’hypocrite. Mais le châtiment est proche : cette nation est trop rassasiée, trop riche. Ce qui l’attend, c’est le sort de Carthage et de la Hollande. M. de Treitschke ne nous dit pas quelle puissance se croit appelée à recueillir cette grosse succession.

Cet esprit de nationalité ombrageuse et jalouse, de défiance, d’hostilité, d’ambition et de conquête, qui a transformé l’Europe en un champ de manœuvres, impose à l’Allemagne une politique intérieure où tout doit tendre, sous peine de défaite, à l’état unitaire et à l’état guerrier.

Aussi M. de Treitschke s’attaque-t-il à tous les élémens plus ou moins réfractaires à la discipline prussienne, à la « preussische Zucht, » polonais, alsaciens, catholiques, qui espèrent en silence que l’accession à l’empire de leurs coreligionnaires d’Autriche procurera un jour à leur église, dans l’Allemagne agrandie, la prépondérance. La race souple et fuyante des juifs allemands est un élément non moins rebelle. M. de Treitschke a écrit une violente brochure antisémitique pour prouver que « les juifs sont notre malheur. » Il ne va pas jusqu’à proposer contre eux des mesures d’exception, mais il prétend que la question juive, toujours ouverte et pendante, les oblige à rentrer dans le rang, « car il n’y a pas place en Allemagne pour une double nationalité. » Quiconque aujourd’hui ne se laisse pas enrôler dans cette croisade passe à Berlin pour un faux patriote, pour un mauvais Prussien.

Même âpreté contre les tendances particularistes des états. M. de Bismarck a procédé trop timidement à l’incorporation des états allemands. « C’est le monstrueux sentiment du droit particulier aux