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sévérité peut-être excessive. Si on l’écoutait, il faudrait fuir à tout jamais ces rives funestes, ces marais empestés et ces forêts dont l’ombre opaque et humide recèle la fièvre. « Les indigènes eux-mêmes qui vivent à l’intérieur de l’île dans les districts sains, s’ils viennent pendant la saison chaude dans les parties basses, sont aussi exposés à la fièvre que les Européens. Je lis à Tamatave la connaissance de quelques-uns de ces derniers, qui, bien qu’ils y vivent déjà depuis trois ou quatre ans, sont encore toujours en été attaqués par la fièvre. » Voilà le procès-verbal dressé en 1857 par Mme Pfeiffer. Voici maintenant le témoignage de M. D. Charnay, en 1864 : « Quant à la terrible fièvre, minotaure impitoyable dévorant l’audacieux colon ou l’imprudent touriste, nous devons avouer que dans nos fréquentes excursions, alternativement exposés à l’action du soleil et de la pluie, souvent mouillés jusqu’aux os, aucun de nous n’en a éprouvé le moindre symptôme. A Tamatave même, peuplée de plus de trois cents Européens, l’on nous assura que, depuis deux ans, pas un d’eux n’avait succombé aux atteintes de ce mal. » Où est la vérité ? Mme Pfeiffer a eu la fièvre et M. D. Charnay ne l’a pas eue. Cela seul est certain. Quant à une appréciation générale sur l’insalubrité ou l’innocuité du climat, nous demeurons perplexes. C’est ainsi que les relations les plus sincères se trouvent souvent en pleine contradiction. Je cite cet exemple pour montrer qu’il faut un certain flair pour se promener au milieu des récits de voyage, que le Tour du monde peut n’être pas exempt de traits inexacts, de mirages et d’illusions, et qu’il n’est pas indifférent, pour ce genre de littérature, de connaître le caractère plus ou moins impressionnable de l’écrivain, les motifs et le but de son voyage, les incitations personnels, agréables ou pénibles qu’il a rencontrés sur sa route. Un voyageur officiel ne regarde point les mêmes choses qu’un touriste indépendant ; une femme, fût-elle aussi virile que l’était Mme Pfeiffer, voit et juge autrement que nous : enfin, quand on a été mal reçu dans un pays, quand on y a souffert de la faim, du froid ou du chaud, ou de la fièvre, la mauvaise impression et les fâcheux souvenirs ne sauraient disposer le voyageur, décrivant ce qu’il a vu et ressenti, à vanter les agrémens du paysage. Madagascar a donc ses détracteurs et ses panégyristes et, parmi ces derniers qui ne demandent rien moins que la conquête de l’île, se distinguent les colons de la Réunion, très intéressés à se procurer en abondance et à bas prix les bœufs qu’ils mangent et les Malgaches qu’ils font travailler sur leurs plantations. Madagascar, c’est, pour la Réunion, la question vitale. Si l’on écoutait les colons, nos compatriotes, qui s’expriment très éloquemment par la voix de leur sénateur et de leur député, la France