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africain. Sur les côtes, quelques établissemens européens, aux limites incertaines ; à l’intérieur, rien ou presque rien ; c’était une carte muette. Et aujourd’hui, la carte nous montre des états et des villes, des fleuves grossis par de nombreux affluons, des lacs, de hautes montagnes, des populations tantôt denses, tantôt clairsemées, selon la nature du pays ; elle est chargée de noms et de signes géographiques ; on y voit même des lignes de chemins de fer. L’Afrique est entrée dans le concert géographique. Il faut compter avec elle pour les examens du baccalauréat. Il ne suffit plus de savoir qu’en 1828 René Caillé a visité Tombouctou. Que de progrès, depuis lors ! Combien de découvertes ! Le lac Nyanza, le lac Tanganyka, le fleuve Niger, le Congo, le Zambèze et bien d’autres sont nés à la géographie, grâce aux explorateurs modernes. C’est un nouveau monde ouvert à notre curiosité, à la science, aux spéculations politiques, et les éditeurs du Tour du monde ont eu l’exact pressentiment de l’intérêt qui s’attache aux choses d’Afrique ; depuis 1860, ils ont publié le récit de la plupart des explorateurs africains. La collection nous donne successivement les voyages de Guillaume Lejean, d’Anderson, du docteur Barth, de Burton, de Trémeaux, de Baker, de Mage, de Stanley, de Schweinfurth, de Livingstone, de Cameron, de Marche, de Raffray, du docteur Largeau, de Serpa-Pinto, de Gallieni, etc., c’est-à-dire de tous ceux qui nous ont fait la carte de l’Afrique, et la liste n’est point complète. Il s’y ajoute chaque année quelques nouveaux noms ; aujourd’hui encore, des noms français, le lieutenant de vaisseau Caron et le capitaine Binger.

Quel attrait peut donc avoir l’intérieur de l’Afrique pour susciter à ce point l’esprit d’aventure et pour séduire tant d’explorateurs, résolus à braver fatigues et périls sur une route qui n’est pavée que de victimes et de martyrs ? Les missions chrétiennes, qui ont pénétré si avant dans les régions de l’Asie, n’ont point encore lancé leurs éclaireurs dans le centre africain ; elles ont été arrêtées jusqu’ici par la difficulté des communications avec le littoral, par la guerre en permanence, qui alimente la traite. Un grand effort est, en ce moment, tenté sous la direction d’un éminent cardinal, pour combattre la traite au moyen de la propagande catholique. Les obstacles, — et ils sont grands et de toute nature, — ne sont point faits pour arrêter ce généreux dessein. Les missionnaires du cardinal Lavigerie se heurteront non-seulement, contre le fanatisme musulman qui a déjà conquis une partie de l’Afrique, mais encore contre l’idolâtrie qui règne parmi les peuplades où les Arabes n’ont point pénétré. Or les musulmans ne se laissent pas entamer : ils tiennent à leur prophète et à son paradis. Quant aux idolâtres, il ne faut point compter que l’on en fera des convertis par persuasion ;