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sans parler de l’absence ici de toute cérémonie religieuse, de tout appel par conséquent à la foi spiritualiste et aux espérances qu’elle comporte, — pourrait-on dire que dans ces manifestations extérieures du deuil et de la gratitude publics, tout s’adressait au génie de celui qui n’était plus ? Des souvenirs fort étrangers à la poésie ne se mêlaient-ils pas à l’admiration pour le poète, tandis que, soixante-douze ans auparavant, au convoi de Grétry, il n’y avait eu place dans le cœur de chacun que pour des sentimens d’un ordre unique ? En un mot, parmi ceux qui accompagnaient Victor Hugo jusqu’au seuil du Panthéon, combien entendaient surtout promener par les rues leur adhésion aux doctrines politiques qu’il avait professées dans les dernières années de sa vie ! l’auteur de Richard Cœur-de-Lion, de Zémire et Azor, et de tant d’autres bienfaisans chefs-d’œuvre n’avait dû les hommages rendus à sa mémoire qu’au charme que, dans le pur domaine de l’art, il avait de tout temps exercé.

Grétry était mort, le 24 septembre 1813, dans cette petite maison de l’Ermitage, près de Montmorency, que Jean-Jacques Rousseau avait autrefois habitée. C’était de là que, bien peu de jours avant celui dont il ne devait pas voir la fin, il avait adressé aux membres de la quatrième classe une lettre d’adieu qui se terminait ainsi : « J’attends maintenant le résultat de mes souffrances. Je suis résigné ; mais je sens qu’en quittant cette vie, un de mes plus vifs regrets sera de ne plus me réunir à mes chers confrères que j’aime autant que je les honore… Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur. « Il va sans dire que, en réponse à cette lettre, les confrères de Grétry étaient accourus à l’Ermitage et que beaucoup d’entre eux ne l’avaient quitté que pour y revenir les jours suivans ; mais quand Grétry eut succombé, tous comprirent qu’ils avaient envers lui de nouveaux devoirs à remplir et que leur deuil particulier ne pouvait, sans une sorte d’usurpation, s’isoler de celui de la nation elle-même. Aussi, de concert avec les représentans officiels du gouvernement, prirent-ils les mesures nécessaires pour que, au bout de cinq jours (29 septembre 1813), une solennité dédiée à cette illustre mémoire rassemblât sans distinction ni privilège tous ceux qui avaient à cœur de l’honorer.

Rapporté de l’Ermitage et exposé pendant quelques heures au seuil de la demeure du maître, à Paris[1], le corps de Grétry fut placé sur un char où s’amoncelaient les palmes et les couronnes, et qu’entouraient les membres au grand complet des quatre classes de l’Institut. Derrière eux et derrière la famille, des députations du

  1. Grétry habitait la maison sise à l’angle du boulevard des Italiens et de la rue de Grammont.