Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/767

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Conservatoire et d’autres établissemens publics, des sociétés musicales ou littéraires de Paris et de la province, du personnel des divers théâtres, etc., s’avançaient entre deux haies doubles chacune et formées, d’une part, par les troupes de la garnison immobiles le long de la chaussée, de l’autre par les élèves du Conservatoire et des Ecoles, marchant un à un sur les flancs du convoi. Deux cents musiciens partagés en deux corps, dont l’un dirigé par Persuis, l’autre par Kreutzer, exécutaient alternativement la marche funèbre que Gossec avait composée pour les obsèques de Mirabeau ; et lorsque, après avoir parcouru les boulevards jusqu’à la hauteur de la rue Montmartre, le cortège se fût détourné pour s’arrêter devant le théâtre Feydeau, dont la façade tout entière était tendue de noir, les artistes de ce théâtre, groupés sur les marches du péristyle autour du buste de Grétry, firent entendre, au milieu de l’émotion générale, l’air admirable de Zémire et Azor : Ah ! laissez-moi la pleurer ! transformé en chœur pour la circonstance. Devant le théâtre de l’Opéra, situé alors rue de Richelieu, nouvelle station et nouveaux chants, nouvelles couronnes ajoutées à celles sous lesquelles disparaissait le cercueil ; puis, à l’église Saint-Roch, trop petite pour contenir à la fois la foule qui, depuis le matin, en assiégeait les portes et la totalité de ceux qui composaient le convoi, le Requiem de Mozart fut exécuté, sous la direction de Lesueur, par l’orchestre et les chanteurs de la chapelle impériale. On n’atteignit que vers la fin de la journée le cimetière de l’Est, où « plusieurs milliers de personnes », dit un journal du temps, attendaient l’arrivée du cortège. Méhul, au nom des membres de l’Institut, Bouilly, au nom des auteurs dramatiques, prononcèrent chacun un discours ; des chœurs de jeunes filles chantèrent le trio de Zémire et Azor sur des paroles adaptées par Marsollier à la musique : après quoi le corps de Grétry fut, sous une pluie de fleurs que versaient les mains des mêmes jeunes filles, déposé dans la sépulture préparée pour le recevoir auprès de la tombe de Delille et à quelques pas de l’emplacement où devait s’élever un peu plus, tard le monument à la mémoire de Molière.

Le vide que la mort de Grétry laissait dans la classe des beaux-arts était certes difficile à combler. Quels que fussent les mérites des artistes qui se portaient candidats, — Berton, Martini et Cherubini, — aucun d’eux ne paraissait jouir, auprès du public, d’un crédit assez sûr et assez étendu pour que la succession d’un musicien populaire entre tous pût lui être dévolue, sans donner lieu à des rapprochemens fâcheux entre l’immense renommée du défunt et la notoriété personnelle de l’héritier. Afin d’éviter ce danger, on s’avisa d’aller chercher dans la retraite où il vivait depuis