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les voyait de ses yeux, pépites monstrueuses, blocs d’or, pur roulés par les torrens, enfouis dans les sables ou dans le lit des ravins, détachés de quelque riche filon ignoré. Puis l’épaisse et massive voûte d’étain de la Tasmanie, les galènes du mont Tachan, les minerais de plomb et de fer, de cuivre et d’antimoine, de manganèse et de platine, de bismuth et de cobalt, attestent l’inépuisable richesse de ce sol à peine effleuré.

Plus et mieux encore que les métaux et les minerais, les blés et les farines, les cuirs et les laines affirment, la fertilité de ces terres vierges. Si l’on tient compte que la colonie de Victoria figure seule à notre exposition, que la superficie totale de cette région de l’or et du soleil n’est que la trente-quatrième partie de celle du continent australien, on peut juger par elle du rendement que ce continent est appelé à donner dans un avenir prochain. Cinquante-trois années seulement se sont écoulées depuis le jour où le premier colon planta sa tente sur ce sol occupé aujourd’hui par un million d’Européens, sillonné par 3,800 kilomètres de chemins de fer et couvert de villes naissantes. Le commerce d’importation de la province de Victoria dépasse 500 millions à l’année, l’exportation 412 millions. Ses manufactures produisent pour 310 millions de produits fabriqués ; ses revenus publics s’élèvent à 175 millions.

Sur ce continent, découvert en 1542 par un Français, pilote provençal, Guillaume le Testu, entrevu ensuite par les Portugais, les Espagnols et les Hollandais, retrouvé par Cook en 1770, tout apparaît démesuré, excessif : la faune et la flore, la fertilité du sol et sa superficie, la sécheresse et aussi les nombreux cours d’eau, les réalités et les rêves, les ambitions et les visions. Ici, comme dans la plupart des pays neufs appelés à un grand avenir, confusément consciens de leurs hautes destinées, s’agite une force inconnue. Il semble que, dans ces cadres plus vastes, l’homme se sente plus grand, que ses pensées et ses aspirations se haussent au niveau des circonstances et des possibilités entrevues. Ce qui, dans un milieu autre, dans un cercle restreint comme celui de nos sociétés modernes, semblerait imprudence et folie, devient une prévoyante audace ; ce qui passerait pour un défi jeté à la fortune n’est qu’une amorce tondue au succès. La foi dans l’avenir transporte les montagnes et les nivelle, écarte les obstacles, et surmonte les difficultés.

Qui reconnaîtrait dans ces dessins de la ville de toile, canvas’ town, d’il y a trente ans, la Melbourne d’aujourd’hui ? dans les fondrières de boue où s’engloutissaient chariots et attelages, Collins Street, l’artère principale et la voie luxueuse de la grande métropole, parcourue. A l’heure du Block, par de brillans équipages, par une foule élégante que les colons d’alors, hommes dans la maturité de l’âge,