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d’abandonner son compagnon. Celui-ci, de son côté, aurait facilement échappé aux agens chargés de l’arrêter s’il avait voulu s’éloigner. Il faut dire à leur honneur qu’ils ne consentirent ni l’un ni l’autre à séparer leurs destinées. On les arrêta ensemble comme ils avaient fui ensemble. Lorsqu’ils arrivèrent à Paris, on enferma Mirabeau au château de Vincennes et Mme de Monnier dans une maison de correction.

Ils ne devaient plus se revoir que quatre ans après, dans une rapide entrevue qui ne se renouvela plus. Pour Mme de Monnier, c’était la fin de la folle aventure à laquelle elle avait sacrifié sa vie. Une douleur plus grande que celle de la séparation lui était réservée. Celui qu’elle avait tant aimé allait se détacher d’elle peu à peu. Après la dernière entrevue au couvent de Gien, les lettres de Mirabeau devinrent plus rares et plus froides. Puis toute correspondance cessa de sa part. La pauvre femme continuait à écrire sans recevoir de réponse. Le médecin qui la soignait raconte qu’elle avait presque perdu la vue à force de pleurer. Un peu plus tard, devenue libre par la mort de son mari, elle essaya de se consoler dans les bras d’un lieutenant de la maréchaussée qui la rebuta par sa brutalité et ses mauvais traitemens. Elle allait enfin épouser un jeune gentilhomme qui paraissait digne d’être aimé, lorsque son fiancé lui fut enlevé par un accident. Elle ne se sentit pas la force de lui survivre, elle alluma un réchaud et s’asphyxia. Plusieurs fois déjà son imagination avait été hantée par des idées de suicide. A Amsterdam, elle avait voulu s’empoisonner au moment de son arrestation, et n’en avait été empêchée que par les instances de Mirabeau. Celui-ci apprit sa mort au mois de septembre 1789, au pied de la tribune de l’Assemblée constituante. L’émotion qu’il en éprouva ne parut ni bien sincère, ni bien forte à ceux qui en furent les témoins. Les femmes ne devraient pas oublier que c’est presque toujours ainsi que finissent les amours des grands hommes. Pendant qu’elles sacrifient tout à leur passion, elles sont elles-mêmes sacrifiées aux plus impérieuses des maîtresses, à l’ambition, à la recherche du succès, de la popularité, de la gloire.


III

Au donjon de Vincennes, Mirabeau fut enfermé pendant plus de trois années dans une prison beaucoup plus dure que toutes celles qu’il avait connues jusque-là. Il n’était plus question, comme au fort de Joux, de passer ses journées à la ville, d’y prendre ses repas et d’y coucher quelquefois. Les prisonniers du donjon étaient au régime du secret le plus absolu ; point de communications entre