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si angélique ! — il n’en fut jamais dans toute cette terre ! » — Cophetua jura un royal serment : — « Cette mendiante sera ma reine. » — Dans le tableau de M. Burne Jones, la fille, en robe grise, les pieds nus, est assise, doucement rêveuse, sur des degrés de marbre. À ses pieds le jeune roi, couvert d’une riche armure, se tient, sa couronne à la main, également assis, dans une attitude méditative. Deux seigneurs, accoudés en haut, sur un balcon, regardent la scène. La vigueur du dessin, la force des colorations, la profondeur des expressions, la perfection des détails, l’harmonie de l’ensemble donnent à cette toile, tout imprégnée d’un vigoureux amour pour Carpaccio et pour Mantegna, un attrait fort et durable. L’imitation des maîtres, poussée à ce degré d’intelligence, n’est plus seulement une satisfaction donnée à la curiosité des amateurs et des lettrés, c’est encore un exemple salutaire pour toute une école et un rappel fécond aux vrais principes de la peinture. Un morceau senti, dessiné, peint comme le Roi Cophetua rend les yeux plus difficiles pour tout ce qui l’entoure.

Le talent supérieur de MM. Alma-Tadcma et Burne Jones justifie et anime leur dilettantisme. Il n’en est pas moins vrai qu’une école ne vit pas d’évocations rétrospectives ; c’est dans sa lutte avec la nature et avec la réalité qu’elle acquiert ses forces et qu’elle les éprouve. Les peintres anglais, sous ce rapport, ne sont pas en retard sur ceux du continent ; dans le portrait, dans l’étude de mœurs, dans le paysage, ils conservent leur originalité avec une ténacité surprenante. Quatre portraits d’hommes, celui du Très honorable W.-E. Gladstone, par M. Millais, celui du Cardinal Manning, par M. Ouless, celui de Sir Henri Rawlinson, par Holl, celui de M. Henry Vigne, maître des lévriers de la forêt d’Epping, par M. Shannon, sont surtout caractéristiques. L’homme d’état anglais, l’ecclésiastique anglais, le savant anglais, le gentleman anglais, tous robustes, sérieux, calmes et dignes, tout à la fois hommes d’action et hommes de réflexion, s’y trouvent représentés par des procédés assez différens, mais où l’on retrouve toujours l’exactitude et la conscience britanniques. Tandis que les portraitistes français établissent la dignité de leurs figures et ennoblissent l’aspect de leurs physionomies, soit par la fermeté des contours et du modelé, soit par l’ampleur et la puissance de la touche colorée, les portraitistes anglais arrivent à l’expression de la grandeur par l’extraordinaire justesse des détails multipliés. Cette façon de comprendre et d’exprimer, tout à fait semblable à la façon de leurs romanciers et de leurs historiens, ne saute pas aux yeux chez MM. Holl et Shannon, plus pénétrés des méthodes continentales ; mais elle est flagrante chez MM. Millais et Ouless, dont les œuvres sont