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d’ailleurs typiques et de premier ordre. Qu’on compare le martelage pointillé, minutieux, acharné, de taches innombrables, au moyen duquel sont construits les corps, si solides pourtant, et les visages, si nobles et si parlans, de M. Gladstone et du cardinal Manning, avec la simplification rapide de touches fermes et hardies par lesquelles MM. Bonnat ou Carolus Duran représentent un personnage intéressant, on comprendra, du coup, la différence entre les deux écoles. Il y a plus de saveur pittoresque chez nos peintres, il y a peut-être plus de saveur intellectuelle chez les peintres anglais, au moins chez ceux-là, car lorsque le système n’est pas appliqué par des artistes de cette force, il n’aboutit qu’à des enluminures froides et mesquines, d’un aspect sec et jaunâtre, assez pénibles à regarder. M. Millais lui-même ne se gare pas toujours des dangers où peut conduire cette excessive analyse. Son portrait de M. Hook, le peintre de marines, est certainement très individuel et très ressenti ; mais le faire en est si pénible et si compliqué qu’on souffre, en le voyant, du labeur auquel s’est condamné l’artiste. C’est un artiste bien particulier, d’ailleurs, que M. Millais, tout plein de surprises et assez inégal. À côté de ces beaux portraits, il expose quelques fantaisies sentimentales, comme on les aime en Angleterre, une jolie Cendrillon au coin du feu, une fillette jouant avec des Cerises, un bambin rose soufflant des bulles de savon, qui ressemblent à des frontispices de romances. Ce dernier tableau, reproduit par la lithochromie, est devenu sans peine le prospectus d’urne maison de parfumerie.

Sa Dernière rose d’été, une étude de jeune femme, est d’une exécution plus franche et plus chaude. C’est même un des bons portraits féminins de la section, où les images du beau sexe abondent, mais sont, en général, traitées avec une mièvrerie proprette qui nous met bien loin de Reynolds, de Gainsborough et de Lawrence. M. Herkomer a eu sous les yeux deux bien belles personnes, Miss Katherine Grant, et la dame en noir, regardant fixement devant elle, qui, dans le livret, devient l’Extasiée. Toutes les deux ont ce type ferme et régulier, qui serait le type antique, n’étaient de plus la délicatesse aristocratique des carnations et la finesse intelligente du regard. Les images que nous en donne M. Herkomer sont fidèles et nettes, d’une allure distinguée et fière, mais d’une sécheresse mal dissimulée et d’une tonalité froide qui va tourner au jaunâtre. Il y a moins de style et de beauté, mais plus de souplesse, de douceur et de sentiment anglais dans les portraits de M. Gregory, de M. Luke Fildes, de M. Carter. Quant à M. Whistler, c’est toujours le peintre habile, volontairement étrange, tant soit peu paradoxal, que nous connaissons. Son Portrait de lady Archibald Campbell n’est pas