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mère de Constantin, était fille du roi breton Coil, il n’y a rien là que de très explicable, il a trouvé cette tradition courante chez les lettrés de son pays, ou bien il l’a prise dans Geoffroy de Monmouth ; mais il est plus malaisé de comprendre comment il a pu savoir que la ville de Damas « fut fondée par Éliézer Damascus qui était serviteur et intendant d’Abraham avant qu’Isaac fût né, et qui avait compté d’être l’héritier d’Abraham.  » C’est une tradition qui se rencontre dans le Talmud, et le vieux rabbin qui l’y a consignée était certainement un homme d’esprit et un fin connaisseur de la nature humaine, car il nous dit que l’excellent Éliézer, tout attaché qu’il fut à l’enfant, ne fut pas sans une secrète joie quand il le vit partir pour le sacrifice projeté, et eut le nez quelque peu long lorsqu’il le vit revenir. Comme il est évident que Maundeville n’a pas lu le Talmud, et qu’il semble avoir interrogé les Juifs beaucoup moins que les gens d’autres religions, l’anecdote a dû lui venir par une conversation avec quelque chrétien d’Orient, Jacobite ou Géorgien, ou quelque musulman versé dans les traditions rabbiniques. Voici qui est plus particulier encore. C’est l’époque où les traditions fabuleuses du vieil Orient si longtemps éparses se réunissent pour se condenser sous la forme de récits composés avec art et unité. Que les élémens premiers des célèbres Mille et une nuits existent chez Maundeville en couches aussi épaisses que les cailloux d’or et les diamans dans le pays d’Eldorado de Candide, et qu’on n’ait qu’à tourner les pages pour les ramasser par poignées à l’état de substances brutes, de minerais vierges, de pierres précieuses dans leur gangue, cela est curieux et instructif sans avoir rien de trop extraordinaire ; ce qui l’est davantage, c’est d’y rencontrer quelques-uns de ces élémens transformés en lingots par le feu de la forge, et ce qui l’est tout à fait, c’est d’y trouver quelques-uns de ces lingots marqués de la main de l’artiste. Parmi les contes des Mille et une nuits, il en est un dont Maundeville semble avoir eu positivement connaissance, celui de Sindbad le marin. Presque rien ne manque des aventures de Sindbad dans les récits de Maundeville ; voici sous le nom de griffon le fameux oiseau Rock, voici les montagnes d’aimant qui émiettent les navires en attirant leurs ferremens, et les pygmées noirs qui s’assemblent par milliers sur le rivage pour se saisir de Sindbad et de ses compagnons, et les géans anthropophages qui mangent la chair humaine comme chair de mouton, et l’île où les maris sont pieusement enterrés vivans avec leurs femmes mortes ; il n’y a que la récolte des pierres précieuses par le moyen de quartiers de viande que les aigles viennent enlever qui ne s’y trouve pas, et nous avons dit que Marco Polo nous l’a transmise à sa place. À ces rapports,