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que pour exhorter à la piété et recommander le respect dû à la vertu. Faut-il encore un autre exemple qui paraîtra peut-être le plus probant de tous ? Il y a dans Maundeville plusieurs contes de serpens fées, mais ne croyez pas qu’il les ait placés indifféremment dans n’importe quelle contrée. Il les a placés en Grèce, leur vraie patrie, tout comme s’il avait eu notre moderne érudition en matière de folklore, et qu’il sût que les hommes et femmes cygnes sont tout aussi décidément germano-scandinaves que les hommes et les femmes serpens sont gréco-slaves.

Ces histoires sont trop curieuses et éclairent trop bien sur la provenance première de quelques-unes des plus poétiques traditions de notre Occident, pour que nous ne les mettions pas sous les yeux de nos lecteurs.


Puis on passe par les îles de Colos et de Lango (Cos), dont Hippocrate était seigneur, et quelques-uns disent que dans cette île de Lango habite encore la fille d’Hippocrate, sous la forme et la ressemblance d’un grand dragon de cent pieds de long, à ce qu’ils disent, car pour moi je ne l’ai pas vue, et les gens des îles l’appellent la dame du pays. Elle habite dans un vieux château, au fond d’un souterrain ; elle apparaît deux ou trois fois dans l’année, et elle ne fait de mal à personne à moins qu’on ne lui en fasse. D’une belle demoiselle qu’elle était, elle fut ainsi changée en dragon par une déesse nommée Diane, et on dit qu’elle restera sous cette forme jusqu’à ce que vienne un chevalier qui sera assez hardi pour l’approcher et la baiser sur la bouche ; alors elle reviendra à sa nature vraie, reprendra sa forme de femme, mais ensuite elle ne vivra pas longtemps. Presque tout récemment, un chevalier de Rhodes, qui était un hardi et preux homme d’armes, dit qu’il l’embrasserait ; il monta donc sur son coursier et alla au château ; lorsqu’il entra dans la caverne, le dragon leva la tête vers lui, et le chevalier, en la voyant sous cette forme si horrible et hideuse, se prit à s’enfuir. Mais le dragon l’emporta sur un rocher et le jeta dans la mer, où cheval et cavalier périrent. Un jeune homme, qui ne savait rien du dragon, descendit d’un vaisseau et s’avança dans l’île jusqu’au château ; là, étant entré dans le souterrain, il s’y avança tellement qu’il trouva une chambre où il vit une demoiselle qui peignait sa chevelure en se regardant dans un miroir, tout ornée de riches bijoux. Il crut que c’était quelque femme prostituée qui demeurait là pour recevoir les hommes à folie, et il resta jusqu’à ce que la demoiselle vit son ombre dans le miroir ; alors elle se tourna vers lui et lui demanda ce qu’il voulait. Il répondit qu’il voulait être son amant. Alors elle lui demanda s’il était chevalier, et il dit que non. Elle lui dit qu’en ce cas elle ne pouvait pas être sa maîtresse, mais elle lui conseilla d’aller retrouver ses compagnons et de se faire recevoir