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fournir qui ne soient point sujets à cette variation et qui constamment soient de bonne compagnie. Vous jouissez de ce bonheur, mon cher maître, et, sans vous envier, sans même l’espérer, je désire un si grand bien. Si on me calomnie et si notre docteur Sénac m’accuse de la moindre chose de quelque nature qu’elle puisse être, c’est un méchant homme. Il est inutile qu’il charge le pauvre malade pour se mettre à couvert[1]. »

Il ne négligeait rien pourtant et toutes les dispositions étaient déjà prises, au moins dans sa pensée, pour l’exécution du projet dont il ne fit part qu’au milieu de décembre, même à son ministre ; le comte d’Argenson : Il ne s’agissait de rien de moins que de compléter la conquête des Pays-Bas, en mettant la main, par une sorte de surprise, sur la capitale où siégeait encore le représentant de Marie-Thérèse, le comte de Kaunitz, avec la qualité de gouverneur-général. La ville de Bruxelles, alors assez convenablement fortifiée, ne pouvait être enlevée que par un siège régulier, mais Maurice avait lieu de croire qu’elle serait faiblement défendue. Tel était, en effet, le dénûment où Marie-Thérèse (tout occupée à pousser sa pointe contre le roi de Prusse) avait laissé ses possessions flamandes que leur chef-lieu ne contenait, en fait de troupes autrichiennes, que deux escadrons de dragons et de hussards de cent cinquante hommes chacun, de sorte qu’en comptant les états-majors des différens généraux qui résidaient dans la ville, on y aurait trouvé, dit Voltaire, plus d’officiers que de soldats. Dix-huit bataillons hollandais formaient la seule force effective, assez considérable à la vérité, car elle se montait bien à 15,000 hommes, mais on pouvait penser qu’ils ne se feraient pas tuer jusqu’au dernier pour l’honneur d’une souveraine qui prenait si peu de souci de se défendre elle-même.

L’essentiel, pourtant, était d’arriver en force et sans être attendu, afin de ne pas laisser le temps aux autres troupes des alliés, encore éparses dans la province, de se concentrer pour faire obstacle aux premières opérations du siège. Le résultat de la campagne précédente avait été, en effet, de diviser les Pays-Bas comme en deux parties à peu près égales, obéissant à des dominations différentes. Toute la partie occidentale jusqu’à la mer était occupée par l’armée française, puisqu’une série de sièges, suivie d’autant de capitulations, nous avait rendus maîtres successivement de Tournay, de Courtray, d’Audenarde, de Menin, d’Ypres, de Furne, d’Ostende, de Bruges j’de Dendermonde, en dernier lieu enfin d’Ath et de Gand. Mais à l’est, les places de Malines, de Louvain, de

  1. Noailles à Saxe, 27 novembre ; Saxe à Noailles, 3 décembre 1755. — Papiers de Mouchy.