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Charleroi et de Namur étaient encore occupées par les forces alliées, qui tenaient sous leur main toute la contrée avoisinante, la ville de Bruxelles était donc aussi découverte d’un côté qu’appuyée de l’autre, et la petite rivière de Senne, qui la traverse, formait comme la ligne de partage des deux régions. C’était ce cours d’eau que Maurice avait formé le projet de faire passer à ses troupes, sur plusieurs points, en amont et en aval de Bruxelles, par des corps d’armée qui, se tendant la main et se rejoignant sur l’autre rive, comploteraient l’investissement. Une division détachée devait rester en observation devant Mons, la seule place forte, située sur la rive gauche de la Senne, qui fût encore en la possession des Autrichiens. Les mesures semblaient si bien prises, et Maurice pensait être tellement sûr de leur succès, qu’il croyait pouvoir promettre au roi que Bruxelles serait cernée et ainsi moralement prise le 1er janvier, pour ses étrennes.

Mais il avait compté sur la durée d’une forte gelée, très habituelle dans a contrée, à cette époque de l’année, et qui devait favoriser le transport d’un gros matériel de siège. Dans la dernière semaine de décembre, de grandes pluies survinrent, suivies d’un dégel complet qui rendit les routes inabordables pour l’artillerie. La contrariété était très grande, car chaque jour de délai pouvait amener un incident qui donnerait l’éveil à l’ennemi ou révélerait à l’armée française elle-même le plan qu’il importait de lui laisser ignorer jusqu’à la dernière heure. Déjà le retour inattendu de plusieurs colonels qui étaient partis en vacances, et qu’il avait fallu rappeler, faisait causer dans les rangs. Afin d’arrêter les commentaires, Maurice dut se séparer de son confident et de son auxiliaire le plus apprécié, le comte de Lowendal, attendu à Paris, le 1er janvier, pour prendre part à la réception des chevaliers du Saint-Esprit nouvellement promus. L’impatience, qui devait être extrême, ne fut pas pourtant visible sur les traits du maréchal : il la dominait même intérieurement assez bien pour garder l’esprit ouvert aux soins les plus variés. Ainsi, c’est pendant ces jours d’attente forcée qu’on trouve plusieurs lettres écrites de sa main et portant sur des sujets de nature très différente, auxquels il semble s’appliquer avec une attention et même une ardeur égales.

La première est une réponse à un avis qui lui était demandé par le comte d’Argenson, sur le plan général des opérations à suivre pendant la campagne prochaine. Le maréchal discute, avec une rare clairvoyance, les éventualités probables ; il conclut qu’il n’a rien de sérieux à craindre de la part du corps germanique, toujours lent à se mettre en mouvement et trop travaillé par des divisions intérieures pour qu’on puisse le décider à une campagne d’agression : « Moins même, dit-il, on laissera de troupes en face