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un raisonneur et l’autre un passionné. Mais ne nous mettons pas en frais d’antithèses : il est probable que l’histoire est fausse.


III

Les élections générales de 1880 ramenèrent les libéraux au pouvoir. M. Gladstone fit la part des radicaux, et personne ne la trouva exorbitante. Sir Charles Dilke reçut la sous-secrétairerie d’état aux affaires étrangères, où il allait déployer les plus rares talens. On offrit II M. Chamberlain une simple place dans le ministère, il réclama un siège dans le cabinet. « On céda, car il était moins à craindre dedans que dehors, » nous assure M. Marriott dans la brochure que j’ai citée, et où il amalgame, dans un plaisant désordre, les théories économiques, les préjugés de classe, les critiques personnelles et les « potins » de couloir, où il accuse à la fois M. Chamberlain de saper la monarchie et de trop aimer les orchidées. Est-il vrai que M. Gladstone ait fait entrer M. Chamberlain dans le cabinet, pour l’annuler, à peu près comme M. Jules Ferry, au 4 septembre, escamota M. Rochefort en le précipitant dans la salle où se tenait le gouvernement ? Le cas est, à coup sûr, bien différent. M. Rochefort était aussi dangereux qu’il était nul. M. Chamberlain était difficile à conduire, mais capable de faire beaucoup de bien. M. Gladstone le savait, car il peut apprécier les hommes et il n’a jamais eu peur des radicaux. Il ne me démentira pas si j’affirme que son aile droite lui a donné, dans son long commandement, plus de tracas que l’aile gauche.

Quant aux sentimens de Joseph Chamberlain pour son chef, les chercherai-je, avec le même M. Marriott, dans des articles de la Fortnightly Review qui remontent à 1873 et à 1874 ? Dans ces articles, M. Chamberlain accusait le premier ministre de faiblesse, de pusillanimité, d’égoïsme. Il le traitait de « leader sans programme, d’homme d’état sans principes. » C’était au moment où M. Gladstone venait d’accomplir des merveilles, vers la fin de ce grand et mémorable ministère qui marquera dans l’histoire d’Angleterre plus que la révolution de 1688. Je serais porté à blâmer les expressions de M. Chamberlain, si je ne me rappelais avec quelle ingratitude et quelle injustice parlaient alors du grand old man ses lieutenans favoris. J’étais au Reform-Club le jour où on le déposa en quelque sorte : les paroles les plus sévères du publiciste de la Fortnightly Review étaient des douceurs, comparées à ce que j’entendis sur l’escalier de la bibliothèque et dans l’atrium du