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est exigible immédiatement. De sorte que, pour vingt-cinq francs, tout inventeur peut, sous la protection de l’état, commencer l’exploitation de son idée et la conquête des millions. La loi sur les faillites a plus d’envergure. Elle pose, ou plutôt elle rétablit un principe que la loi précédente avait renversé. En effet, en 1869, après une longue enquête, le parlement avait cru devoir donner aux créanciers et aux débiteurs le droit de s’entendre directement. Quatorze années d’expérience avaient démontré les inconvéniens du nouveau système et surtout l’abus des proxies (votes par écrit des créanciers absens)[1]. La loi Chamberlain n’a pas fait revivre l’ancienne bureaucratie oppressive et tracassière, mais elle a créé, entre les débiteurs et les créanciers, des intermédiaires indispensables, sur un plan analogue à celui de nos institutions françaises. Leur autorité n’est, d’ailleurs, qu’arbitrale et reste soumise au contrôle supérieur du Board of Trade.

En somme, de ces deux lois auxquelles M. Chamberlain a attaché son nom, l’une perfectionne ce qui est, l’autre est un retour intelligent au passé. Quoi de moins révolutionnaire ?

Bien autrement important était l’Acte sur la marine marchande, si les préjugés et les passions avaient permis à M. Chamberlain de le mener à bonne fin.

Deux mots d’explication sont nécessaires pour faire connaître les origines de la question et les termes où se posait le problème.

Lorsqu’un navire devient, par sa vétusté et son délabrement, impropre au service, l’armateur auquel il appartient n’a que deux partis à prendre. Dépecer ce navire et le débiter comme bois à brûler : dans ce cas, le capital initial est perdu. Ou bien l’envoyer à la mer jusqu’à ce qu’un gros temps en disjoigne les planches et envoie au fond de l’eau l’équipage et la cargaison : dans ce cas, le capital est sauvé. Ce n’est pas assez dire. Un naufrage est une bonne affaire, un coup de fortune, grâce aux lois qui permettent d’assurer un navire et son chargement au de la de leur valeur. On a ri de la formule cynique : « Enfin, nous avons fait faillite ! » Que de larmes a coûtées cette autre formule, effrontément tragique, qui pourrait être celle des armateurs anglais : « Enfin, nous avons fait naufrage ! »

Certes, tous les armateurs ne sont pas coupables de ces affreux calculs, car ils seraient pires que ces misérables, qui, au moyen âge, allumaient des feux pour conduire les vaisseaux sur les récits, dans l’espoir de recueillir les épaves, et « la corde, comme l’a dit

  1. Voir Gotobed, Remarks on M. Chumberlain’s bankruptcy act. London, 18S2 ; Macmillan.