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commune, remplacée par le manoir (manor) et par la paroisse (parish), disparut si complètement, qu’il n’y a même plus de mot en anglais pour la désigner. La France a toujours conservé des états provinciaux. L’Angleterre n’avait rien de pareil. Dans les provinces, tous les pouvoirs judiciaires, administratifs, financiers, étaient aux mains de certains grands propriétaires, les juges de paix, nommés par le roi. Seuls, les bourgs incorporés jouissaient d’une sorte de self-government, sous l’empire des lois générales. Ce n’est que l’an dernier (1888) que l’on a accordé aux provinces un corps représentatif, « le conseil de comté, » pour gérer leurs intérêts. Il faudra une loi nouvelle pour restituer aux Anglais le tunscip anglo-saxon, la corporation communale, qu’on trouve dans le monde entier. Si donc ils ont eu avant les autres grandes nations des libertés politiques, ils le doivent à la race, à la religion, à la caste, à l’histoire, non aux autonomies locales qui n’existaient pas.

M. Dupont-White s’élève avec véhémence contre cette idée si répandue, que c’est dans la gestion des intérêts communaux que se forme l’esprit politique. Ce qu’enseigne, ce que suggère la commune, dit-il, aura toujours les bornes des vues locales. Ce n’est pas là qu’on apprendra à gouverner un grand pays ! Richelieu ou Colbert, Turgot ou Necker, Thiers ou Guizot en France ; Chatham ou Pitt, Peel ou Gladstone en Angleterre n’ont pas dû pour être de grands ministres passer par l’école d’un conseil municipal.

Le plus grand danger des démocraties, ce sont les abus de pouvoir que peut commettre la majorité à l’égard de la minorité ; or nulle part ce danger n’est plus à craindre que dans l’enceinte étroite d’une commune. Là, les hostilités de parti se transforment en inimitiés personnelles et en luttes corps à corps. Voyez, dans les cités grecques et dans les républiques italiennes, les plus brillans exemples que nous possédions de communes souveraines : quelles luttes constantes et souvent sanglantes ! Quelles proscriptions, quelle extermination des vaincus ! Il y a une manière péremptoire d’apprécier ce que vaut la centralisation pour le droit, pour l’équité : voyez l’ordre judiciaire. Là, vous avez un merveilleux moyen de redressement : l’appel. Or la raison de l’appel, c’est que le juge distant est supérieur au juge voisin. En fait d’administration, l’appel est aussi indispensable qu’en fait de justice. Donc le pouvoir central doit avoir un droit de contrôle sur les affaires locales.

Les institutions robustes et nécessaires se reconnaissent à ceci qu’elles ne cessent de grandir à travers et malgré tout. Telle a été la fortune de la centralisation en France : « Là tout est faveur et acclamation. Il y en a pour les mauvais rois, dès qu’ils se mettent à cette œuvre. Les monarques passent, les monarchies mêmes disparaissent, mais la centralisation reste. Si vous la prenez pour une