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sociale, de façon que chacun, en poursuivant la satisfaction de ses goûts, agisse au profit de tous. Mettez en œuvre l’attraction passionnelle, et elle produira L’harmonie dans la société, comme le fait la gravitation dans l’univers physique. Une fois la pendule sociale bien ordonnée, elle marchera toute seule en vertu des lois divines, et tout gouvernement deviendra superflu.

Après l’Individu et l’État, Dupont-White publia la Centralisation, qui en est la suite. Ce volume est formé principalement d’articles parus dans la Revue de 1861 à 1863. Les échecs successifs des révolutions de 1830 et de 1848 et le rétablissement de l’empire avaient fortifié cette idée que la France n’était pas mûre pour la liberté et que la faute en était à la centralisation. La centralisation, allait-on répétant sans cesse, est l’anéantissement de toute virilité politique chez une nation ; la véritable école d’un peuple libre est la gestion des intérêts locaux ; une démocratie sans institutions provinciales ne possède aucune garantie ni contre le désordre, ni contre le despotisme ; le gouvernement, en agissant partout et d’après les mêmes règles, énerve la vie dans les communes et brise chez elles toute initiative. Et l’exemple qu’on ne cessait de citer était celui de l’Angleterre et des États-Unis, où la liberté et la prospérité les plus grandes ont pour fondement les institutions locales. Telle est la thèse que Dupont-White essaie de réfuter, et il le fait avec un éclat, avec une originalité et une diversité de vues qui éclairent le problème d’une lumière toute nouvelle.

Et d’abord, il n’admet pas la supériorité de l’Angleterre, même sur le terrain politique. Chaque peuple a suivi sa voie pour arriver au même point. Les Anglais ont conquis d’abord la liberté, parce que l’aristocratie et les communes ont eu devant eux, de bonne heure, le souverain absolu ; aujourd’hui, pas à pas, ils fondent la centralisation. En France, on a eu d’abord la centralisation, parce que c’est au moyen de cet indispensable instrument que les rois ont fait l’unité du territoire et la Révolution, l’unité nationale. On n’a pas eu aussi vite la liberté politique, parce que la royauté a d’abord favorisé le peuple aux dépens de l’aristocratie, puis l’aristocratie aux dépens du peuple. Mais maintenant que la souveraineté de la nation est reconnue, les Français arriveront à jouir des mêmes droits que les Anglais.

D’ailleurs, il faut ne rien connaître aux institutions locales, de l’Angleterre pour y voir le berceau des libertés politiques. Jusque hier encore, nul peuple n’a été plus privé d’autonomies communales ou provinciales. Comme le montre bien Dupont-White, Guillaume le Conquérant établit un despotisme absolu et une centralisation excessive. A la tête des comtés, il plaça des préfets, les vice-comes, qui devinrent plus tard les shérifs. Chose sans exemple ailleurs, la