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Dieu, et plus de joie ils auront dans l’autre monde. En un mot, ils souffrent tant de peines et de si durs martyres pour l’amour de leur idole, qu’un chrétien n’oserait pas prendre, je le crois bien, la dixième partie de ces souffrances pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Les hommes qui se tuent ainsi sont réputés saints. « Et comme on tiendrait chez nous à grand honneur d’avoir un saint dans sa famille, ainsi pensent-ils aussi ; et comme chez nous on écrit dévotement tes vies et les miracles des saints personnages et on sollicite leur canonisation, ainsi font-ils pour ceux qui se sont tués volontairement pour l’amour de leur idole. Ils disent que ce sont de glorieux martyrs et des saints ; ils les placent dans leurs écrits et leurs litanies, et se vantent, en se disputant entre eux, à propos de ces parens bienheureux, disant : j’ai plus de saints dans ma famille que toi dans la tienne. » Maundeville donne la formule d’une des prières par lesquelles les assistans accompagnent ces pieux suicides, et soit hasard, soit intention de la part du voyageur, il se trouve que cette prière a les formes, le tour, l’accent des prières chrétiennes. « Grand Dieu, contemple ce que ton véridique serviteur a fait pour toi ; il a quitté sa femme, ses enfans, ses richesses, tous les biens de ce mondé, et sa propre vie pour l’amour de toi, et pour t’offrir en sacrifice sa chair et son sang. Par conséquent, saint Dieu, place-le parmi les plus bien-aimés dans ton bienheureux paradis, car il l’a justement mérité. » Le culte des reliques ne leur est pas non plus inconnu. « Ensuite ils font un grand feu et brûlent le corps, et alors chacun de ses parens et amis prend une certaine quantité de cendres et les conserve en guise de reliques, disant que c’est une sainte chose, et ils ne craignent aucun péril tant qu’ils ont sur eux ces cendres. » Les rapprochemens que Maundeville établit ainsi en tapinois entre les rites, coutumes et pratiques des cultes idolâtriques et ceux du christianisme sont en nombre vraiment considérable, eu voici un dernier exemple. « Et comme nous disons nos Pater Noster et nos Abe Maria en comptant les grains du chapelet, dit-il en parlant d’un certain roi idolâtre, ainsi ce roi récite-t-il dévotement chaque jour trois cents prières à son Dieu avant de manger. » Notez que cette dévotion, idolâtrique ou non, est évidemment de bon aloi, puisque le roi qui la pratique est tellement droit et équitable dans ses jugemens que ses sujets n’ont rien à craindre pour leurs biens, car personne n’oserait commettre un vol. La dévotion au plus vrai des cultes serait-elle plus fertile en bons effets ?

Go sont erreurs d’un zèle fanatique ; mais n’avons-nous pas aussi les nôtres ? devait infailliblement se dire le bon lecteur du XIVe siècle, en pensant à tout ce qu’il avait lu, entendu raconter, ou vu de ses yeux. Maundeville se garde bien d’émettre ce doute,