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seulement il s’arrange toujours de manière à le suggérer. Il se gêne moins avec les simples superstitions, et il dit, à cet égard, nettement leur fait à ses compatriotes et coreligionnaires. Les idolâtres de certaines régions ont, rapporte-t-il, une coutume singulière ; la première bête qu’ils rencontrent le matin, ils en font l’objet de leur culte de la journée. Parmi ces bêtes, il y en a qui sont d’heureuse rencontre, et d’autres de malheureuse ; ils disent qu’ils ont été amenés à reconnaître ce fait par une expérience longtemps répétée, et qu’il est pieux d’honorer les bêtes qui sent d’heureuse rencontre, car cette rencontre n’a pu avoir lieu sans une grâce de Dieu. « Mais il ne se manque pas de chrétiens qui disent qu’il est bon de rencontrer certaines bêtes le matin, et mauvais d’en rencontrer d’autres, qu’ils ont fait souvent l’expérience qu’il est malheureux de rencontrer le lièvre, le porc et autres ; que lorsque l’épervier et autres oiseaux carnivores se saisissent de leur proie devant des hommes armes, c’est bon signe, et mauvais signe, au contraire, lorsqu’ils la laissent fuir, également qu’il est malheureux de rencontrer des corbeaux. Or puisque les chrétiens qui sont instruits chaque jour dans la sainte doctrine croient à de telles choses, est-il bien étonnant que des païens qui n’ont pas de bonne doctrine, mais qui se dirigent d’après leur nature, y croient d’autant plus largement que leur simplicité est plus grande ? »

Les sous-entendus de Maundeville vont parfois très loin. Ces ressemblances ne s’arrêtent pas aux rites, cérémonies on pratiques dévotieuses ; elles apparaissent souvent entre les dogmes de ces idolâtries et ceux de notre sainte religion. Que votre pensée s’arrête un instant sur le curieux, amusant et édifiant tableau que voici :


De cette ville (Kin-sai, dans la Chine méridionale), on va par eau jusqu’à une abbaye de moines qui sont des hommes profondément religieux selon leur foi et leur loi. Dans cette abbaye il y a un grand et beau jardin où croissent nombre d’arbres porteurs de diverses sortes de fruits, et dans ce jardin il y a une petite colline pleine d’arbres plaisans à voir. Sur cette colline et dans ce jardin il y a divers animaux tels que singes, babouins et autres en grand nombre, et chaque jour, lorsque les moines ont mangé, l’aumônier porte les restes du repas dans le jardin et frappe à la porte avec une clé d’argent qu’il tient à la main. Immédiatement toutes les bêtes de la colline et des diverses parties du jardin sortent, au nombre de trois ou quatre mille, et elles viennent à la manière des pauvres gens, et des serviteurs leur donnent les restes dans de beaux vases d’argent doré. Lorsqu’elles ont mangé, le moine frappe de nouveau sur la porte du jardin avec la clé, et toutes les bêtes retournent là d’où elles étaient venues. Ils disent que