Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/580

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du sol de se tenir coi ; et voici venir le roi, « souverain fieffeux, et souverain justicier en son royaume, » qui va mettre tout le monde d’accord, en s’adjugeant l’objet du litige.

C’est, comme l’on sait, par les justices locales que Philippe le Bel et ses successeurs commencèrent le siège de la féodalité. Ne se sentant pas de force à supprimer les tribunaux de leurs feudataires, ils s’érigèrent en juges d’appel et évoquèrent les causes. Leurs baillis s’en furent dans les geôles seigneuriales chercher les délinquans, non pour les sauver de la potence, mais pour les pendre au nom du roi, ou, s’ils trouvaient la chose faite, pour réclamer du moins le pendu, et l’accrocher au gibet royal. Comme le droit de punir emportait plénitude de juridiction et, par là, tous les profits de l’administration et de la police, la justice criminelle reconquise entraîna à sa suite la surveillance des chemins, cours d’eau et marchés, les monnaies et péages, les droits de déshérence et d’aubaine ; c’étaient les attributs naturels de la souveraineté qui faisaient retour à la couronne. Mais en reprenant, du même coup de filet, les mines aux justiciers, le roi perpétuait à son profit l’usurpation séculaire des seigneurs sur la propriété foncière. On dirait que le sentiment de cette origine suspecte se trahit dans les scrupules de la première heure, car sous Charles VI et Louis XI, le droit des « maîtres de très-fonds des mines » est admis et, jusqu’à un certain point, protégé. Plus tard, les jurisconsultes attitrés du souverain s’efforceront de faire oublier ces timides débuts. On s’avisera que la découverte de la mine est généralement postérieure à la première transmission de sol, qu’ainsi le titre originaire n’a pu l’attribuer au premier acquéreur, d’où l’on conclura qu’elle doit appartenir au roi par droit de vacance. Avec cette raison décisive et deux constitutions de Constantin et de Théodose habilement détournées, les gens du roi échafauderont, sous les successeurs d’Henri II, leur théorie du droit régalien[1].

L’établissement des monopoles lui donna presque aussitôt la consécration pratique. Mais, malgré ce baptême du fait, elle ne parvint jamais à se faire accepter comme axiome de droit

  1. Lettres patentes de François II, du 20 Juillet 1560, octroyant privilège général au seigneur de Saint-Julien de rechercher toutes sortes de mines par tout le royaume, de les exploiter à perpétuité, lui et les siens. — Lettres patentes de Charles IX, du 16 mai 1562, instituant, au profit d’Etienne Lescot, privilège général pour rechercher et exploiter toutes les mines par toute la France. — Autres lettres patentes du 28 septembre 1568, accordant à Antoine Vidal le droit de recherches et d’exploitation pour toutes mines, par tout le royaume, avec attribution du dixième royal sur les mines exploitées par autrui. — Il semble bien que l’attribution du droit d’exploiter ne s’appliquait qu’aux mines à découvrir, et non aux mines déjà ouvertes ; pour ces dernières, le roi déléguait seulement sa redevance du dixième.