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son nouveau règlement devait être élaboré par des hommes ayant l’expérience et les traditions législatives. Elle n’avait pas été fâchée, en même temps, d’en confier la rédaction, c’est-à-dire l’interprétation et l’organisation de ses pouvoirs, à des membres de la minorité. N’était-on pas en présence d’un gouvernement qui n’avait pas la confiance de l’assemblée, ou tout au moins y comptait un grand nombre d’adversaires ?

La nomination de la commission du règlement fut un des premiers incidens de la lutte qui s’engagea, dès l’ouverture de la constituante, entre les membres du gouvernement provisoire et l’assemblée. Il s’agissait de savoir comment celle-ci se débarrasserait des hommes que la révolution de février avait portés au pouvoir, et dont les doctrines et la politique étaient en contradiction avec les sentimens et les intérêts de la majorité de l’assemblée nouvelle. Cette aspiration était vague, parce que l’assemblée ne se connaissait pas elle-même et que ses partis étaient encore en formation, mais elle existait et se traduisit dès la première séance.

La constituante tendait à absorber tous les pouvoirs. D’abord, première émanation du suffrage universel, elle avait de ses origines populaires une très haute et très légitime idée ; en second lieu, élue sur des programmes qui touchaient à tout, elle se croyait appelée à renouveler de fond en comble les institutions de la France. Enfin, le plus grand nombre des personnalités de l’ancien parti monarchique, et même du parti républicain modéré, craignaient de voir le gouvernement provisoire s’appuyer sur Paris pour se maintenir aux affaires contre la volonté de l’assemblée. Il n’en fallait pas tant pour que la commission du règlement prit comme base de ses travaux la souveraineté absolue de la constituante et son droit d’exercer un contrôle de tous les instans sur le pouvoir exécutif. La conclusion nécessaire de ces prémisses était la création de grands comités centralisant l’examen de tous les projets, intervenant, sous prétexte de surveillance, dans les détails de l’administration, formant une sorte de gouvernement occulte destiné à diriger l’assemblée, à la discipliner et à lui permettre de ramasser tous les pouvoirs. Cette préoccupation hanta certainement la commission, et elle n’était point pour déplaire à la majorité.

La commission du règlement ne fit d’ailleurs que s’inspirer des principes qui avaient été posés, dès l’ouverture de la session, par les premiers orateurs de la constituante. Dans la séance du 8 mai, le président Bûchez s’écrie, aux applaudissemens de ses collègues : « L’assemblée est souveraine, souveraine d’une manière absolue. Elle n’est pas arrêtée, même par les règles qu’elle a