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Mrs Ward sur parole quand elle nous raconte les merveilles que produit le New Brotherhood, quand elle nous assure que, malgré le tort que lui a fait la disparition prématurée d’Elsmere, il prospère, il grandit et qu’un jour le bon grain semé par les morts trouvera des moissonneurs ; mais nous ne pouvons nous empêcher de signaler ici la parfaite inconvenance de ces détails à la place qu’ils occupent. Si Mrs Ward écrivait tout de bon la biographie d’un réformateur quelconque, si elle proclamait ouvertement ses propres opinions, nous pourrions nous intéresser aux tentatives faites pour donner au vin nouveau des outres neuves ; leur présence dans un roman est au contraire profondément choquante. Ces coups portés à la révélation, à la divinité du Christ, au milieu des duos d’amour entre Rose et Langham, des scènes galantes chez Mme de Netteville, de tout ce que l’auteur a plaqué sur sa thèse pour la rendre attrayante, ne sauraient être acceptés comme le serait dans un ouvrage de philosophie ou de critique historique la thèse toute nue. Nous lirions peut-être volontiers les sermons laïques de feu le professeur Green ou Grey, mais à la condition qu’ils fussent à leur place ; leur présence débordante est ici tout au moins une faute contre l’art et le bon goût ; elle répand une intolérable froideur à travers ce livre d’un genre mal défini qui s’achève sur le ton prophétique : « Le combat n’est pas seulement celui d’Elsmere ; son effort ne représente qu’une fraction de l’effort de la race. Dans cet effort et dans la force divine qui est derrière lui, nous mettons notre confiance comme il y mettait la sienne. »

A quoi les frères d’Elgood Street doivent répondre Amen, tandis que le commun des lecteurs bâille. La fin est complètement manquée. Si Elsmere devait mourir tué par son zèle, dévoré par la charité, il fallait placer l’événement avant l’inauguration solennelle de la nouvelle église et laisser dans l’ombre, où se dérobent les inconsolables, Catherine séparée de lui par quelque chose de plus fort et de plus navrant que la mort. Quel chef-d’œuvre l’auteur d’Amos Barton aurait fait de ce divorce de deux âmes qui n’ont pu concevoir l’amour conjugal sans une parfaite union en Dieu ! Mrs Ward a faussé sciemment le caractère de Catherine en nous montrant cette inflexible puritaine réduite aux concessions. Elle ne devait pas prêter sa qualité favorite, la tolérance, à une personne de cette trempe. Jamais nous ne nous représenterons la Catherine du premier volume comprenant à la fin a que les mots ne sont rien, que l’esprit est tout, que Dieu ne se Rome pas à un seul langage, qu’il en a beaucoup d’autres. » — Jamais nous ne l’entendrons dire à son mari : « Reprenez-moi dans votre vie ; j’écouterai deux voix, la voix qui vous parle à vous et celle qui me parle