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politique… » Puis le ministre Scotti, « fou et visionnaire à l’excès, vendeur de mithridate, sans talent pour le débiter, géographe, mathématicien, politique : en un mot, il est de tous les arts et de toutes les professions, il commence des discours de toute sorte et finit par des ordures sur ses bonnes fortunes. » — Le seul qui soit un peu ménagé, c’est le « comte de Montijo, honnête homme que la reine a fait grand maître parce qu’elle ne pouvait pas ne pas le faire… à qui elle accorde juste une demi-heure de conversation entre une heure et minuit ; ce qui pèse un peu au grand maître parce qu’il aime à se coucher de bonne heure. » — « En voilà assez pour aujourd’hui, dit enfin l’évêque à la fin d’une de ses piquantes satires, sentant sa verve s’épuiser, lisez et brûlez[1]. »

« En vérité, s’écrie d’Argenson en recevant ces petits chefs-d’œuvre épistolaires, vos miniatures sont plus de la manière de Rigaud et de Rembrandt que de celle de Massé : le maître seul les verra, il aime les vérités, j’ai presque dit les nudités (pour suivre votre figure de peinture) ; mais l’idée serait peu propre pour le peintre et pour le cabinet où je les destine… Votre ouvrage ne sera pourtant pas perdu, pour la postérité : car cela ira ensuite au dépôt du Louvre d’où, après deux siècles, on les portera à la Bibliothèque du : Roi[2]. »

Le compliment du ministre n’est pas déplacé, car cet artiste qui fait si bien le portrait des autres est lui-même un type original, et quand il décrit ses entretiens avec le couple royal, du trio qu’il met en scène, il n’est pas la figure la moins intéressante. Il importe même de s’arrêter un instant pour l’étudier, si l’on veut bien démêler tous les fils de l’intrigue à laquelle il va se trouver mêlé. J’ai déjà eu plus d’une occasion de faire remarquer combien étaient rares et variés les mérites des agens diplomatiques que la France avait alors à son service : excellons instrumens dignes de ceux qui avaient secondé les grandes vues de Richelieu et de Louis XIV, et qui, pour être aussi utilement mis en œuvre, n’auraient demandé qu’à être guidés par des mains aussi fermes et aussi habiles. On a pu voir dans Valori le bon sens plein de finesse d’un vieux soldat, perçant à jour les artifices de Frédéric, et lui tenant souvent tête, sans cesser de se faire aimer de lui. Chez Chavigny comme chez l’abbé de La ville, c’est une solidité de jugement, formée et comme aiguisée par les fortes traditions d’une excellente éducation professionnelle. Vauréal nous fait voir un caractère tout différent : c’est le diplomate resté courtisan qui, malgré l’éloignement et la

  1. Vauréal à d’Argenson, 15 février, 19 novembre 1745 et passim. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. D’Argenson à Vauréal, 18 janvier, 28 février 1745, (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)