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difficulté des correspondances, sait se tenir au courant de tout ce qui s’agite autour de son roi et des ministres, a des sentinelles aux aguets dans tous les couloirs du palais, des amis de tout rang et de tout sexe habiles à pénétrer dans les cabinets les plus secrets, pour l’avertir des rivalités ou des coups fourrés qui le menacent, comme des caprices et des faiblesses qu’il peut utilement flatter et servir. L’évêque qui ne réside jamais à Rennes est, de Madrid même, toujours présent à Versailles. La gravité de son état ne le gêne dans le choix ni de ses confidens, ni des moyens de faire sa cour. N’est-ce pas lui (nous l’avons vu) qui, gardant en qualité d’aumônier du roi, même pendant son ambassade, un appartement à Versailles, l’a mis gracieusement, sur la demande de la duchesse de Brancas, à la disposition de Mme de la Tournelle pour faciliter ses premiers entretiens avec son royal amant ? Et à partir de ce moment, les lettres de la vieille duchesse, placée à la tête de la maison de la dauphine, après avoir joué ce rôle honnête d’intermédiaire, et devenue la correspondante habituelle de l’ambassadeur, figurent à leur date avec sa grosse écriture à peine lisible, et son orthographe à la mode du temps, dans la série des dépêches d’Espagne. En remercîment du service qu’il a rendu, elle tient Vauréal au courant de tous les incidens de la cour. Mais c’est bientôt avec le roi lui-même que le complaisant prélat sait se mettre en relation directe sur les sujets les plus délicats. Le mariage du dauphin avec l’infante (qu’il est chargé de négocier) lui permet d’aborder avec le roi des détails de la nature la plus intime. Le père libertin s’amuse de la candeur et de l’innocence du jeune marié. L’évêque répond par des plaisanteries du même goût sur le compte de la future dauphine et des leçons qu’elle a dû recevoir de sa mère, le tout sur le ton le moins décent et le plus éloigné de toute gravité tant épiscopale que paternelle[1].

Avec les ministres et les gens en puissance, Vauréal n’était pas moins empressé, ni moins habile à se mettre en bonnes relations. On le trouve en correspondance familière avec Belle-Isle pendant le grand éclat de la mission du maréchal en Allemagne. Il n’y a rien là qui surprenne ; d’ambitieux à ambitieux, quand on suit des voies différentes où la concurrence n’est pas à craindre, l’accord peut s’établir assez aisément. Mais on est plus étonné de trouver la même trace d’intimité familière dans la correspondance de d’Argenson. Entre le prêtre à l’humeur souple et à l’esprit délié, et le philosophe un peu rogue, et (sauf sur l’article des bonnes mœurs) d’une honnêteté puritaine, on ne voit pas trop quel rapport de

  1. Le roi à Vauréal, 5 janvier. — Vauréal au roi, 16 janvier 1745. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)