Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/768

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui et qui, pendant plus de vingt ans, le mirent au ban de la communauté, dépassaient la mesure de ce que son âme inquiète pouvait, supporter, et, accablé sous le poids de ces outrages publics, il avait mis fin à ses jours en se tirant un coup de pistolet. Quant à Spinoza, on sait quelle lut plus tard sa destinée et les persécutions qu’eut à subir le philosophe qui, avec Rembrandt et comme lui méconnu de ses contemporains, est aujourd’hui une des gloires les plus hautes de la Hollande. En regard de ces ardeurs et de ces excès des rabbins, on aime à signaler la modération d’un pacifique comme ce Menassen-ben-Israël qui, tout en rêvant pour « le peuple de Dieu » une ère de prospérité et de concorde, ne voulait pas du moins recourir à d’autres armes que la persuasion[1].

Dans le protestantisme tel qu’il était pratiqué en Hollande, la bienfaisance tenait une large place. La façon dont elle y est comprise témoigne de cet esprit de charité chrétienne qui unit entre elles toutes les classes de la nation et qui, chez elle, s’exerce sous toutes ses formes. Distributions de secours, hôpitaux, maisons de lépreux, orphelinats, hospices de vieillards, ces diverses œuvres de miséricorde ont pris, en s’acclimatant dans ce pays, une physionomie particulière. Qu’elles soient fondées ou soutenues par des particuliers ou des municipalités, toutes ces nombreuses institutions sont administrées avec une telle sagesse et une si intelligente prévoyance que leurs règlemens fonctionnent encore aujourd’hui. Les citoyens les plus éminens, les patriciennes les plus considérées tiennent à honneur de faire partie de leurs comités, vérifient scrupuleusement les dépenses et couvrent, à l’occasion, les déficits par les dons les plus généreux. Partout règnent l’ordre et la propreté la plus minutieuse. À côté des régens ou des régentes auxquels est réservée la haute direction, la directrice effective de ces établissemens reçoit le nom de mère. Dans la salle de réunion du conseil figurent les portraits des administrateurs ou des personnes qui sont venues en aide à la fondation, portraits peints parfois par d’anciens pensionnaires, assistés pendant leur enfance, ou par des artistes célèbres. Ce sont comme autant de petits musées, dont quelques-uns subsistent encore maintenant et possèdent des œuvres très remarquables. C’est de la fondation Beresteyn à Harlem que proviennent les portraits de Hals, achetés il y a quelques années pour le Louvre, et le charmant portrait de jeune fille de cette famille, acquis précédemment par Mme de Rothschild de Francfort pour

  1. Médecin, théologien, érudit, Menasseh était en même temps un homme île goût, lié avec Rembrandt, à qui il commanda quatre estampes pour un de ses ouvrages : la Piedra gloriosa, et ami de Grotius, de Vossius et de Van Baerle. Ce dernier, rendant hommage à sa tolérance et à sa charité, disait de lui : Si sapimus diversa, Deo vivamus amici.