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plus grande partie des femmes hollandaises menait une vie plus retirée et plus modeste. Les nombreux portraits qui nous en ont été conservés nous montrent, en général des visages ingénus, au teint vermeil, au regard franc, avec un maintien honnête et réservé. Quelques-unes sont charmantes de grâce et de distinction ; mais, d’ordinaire, la force et la santé priment chez, elles la beauté. La sévérité de leur costume confirme d’ailleurs cette impression. À les voir ainsi emprisonnées dans leurs vêtemens sombres, les cheveux tirés avec soin sous leurs coiffes, le cou dissimulé par leurs collerettes raides et régulièrement tuyautées, on devine la correction, l’uniformité de leurs existences. Ce sont de bonnes ménagères, sachant bien tenir une maison et élever leurs enfans, raisonnables sans beaucoup d’imagination, plus sensées que raffinées, mais contentes de leur sort et capables de dévoûment. Avec l’âge, leur droiture constante met son empreinte sur ces physionomies calmes, et sereines, éclaire leurs yeux, communique à leurs traits, à leur être tout entier une expression d’individualité très particulière. Combien, parmi elles, de vieilles excellentes, chez lesquelles l’expérience de la vie, tout en développant la finesse, n’a pas détruit la bienveillance, et dont l’aspect seul commande le respect ! Plus tard, avec le luxe, les mœurs pourront changer ; mais pendant longtemps, chez certaines familles, même chez les plus élevées, on retrouvera quelque chose de cette simplicité primitive, de cette fidélité tous les devoirs, de cette vigilance à surveiller de près le train de leur maison et à présider aux soins les plus humbles sans croire déroger à leur dignité. Dans une lettre à Guillaume III, Constantin Huygens, lui rendant compte d’une visite faite en son nom à la veuve de l’amiral de Ruyter, s’exprime en ces termes : « Aussi m’apprit-on à la ville que depuis quelque temps la bonne femme avait fait une chute comme elle était occupée à sécher et à étendre elle-même son linge. Votre Altesse peut juger quelle sorte de douairière ce peut être qui, encore depuis la mort de son mari, a toujours continué sa coutume d’aller au marché le panier au bras[1]. »

Ces habitudes simples, ces vies droites et volontairement renfermées, contribuaient à faire une race forte et saine. Un grand nombre des hommes remarquables de ce temps conservèrent intacte, jusque dans l’extrême vieillesse, une activité singulière. Les exemples abondent à cet égard. Maurice de Nassau, sexagénaire, demeure à la tête des armées, après avoir supporté les fatigues d’une lutte prolongée et sans trêve ; de Ruyter compte cinquante-huit ans de services effectifs à la mer, pendant lesquels il a assisté

  1. Lettre du 21 mars 1677. Oud-Holland, 1883 ; p. 74.