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à cinquante grandes batailles navales et commandé en chef dix d’entre elles ; Cats, nous l’avons vu, rime encore à quatre-vingt-deux ans, et Hals tient le pinceau à quatre-vingts. Le professeur Fr. Ruysch, âgé de près de quatre-vingt-dix ans, continue à faire un cours de médecine très suivi, à côté de son collègue Tulp, qui n’en a pas moins de quatre-vingt-un, et la fille de Ruysch, Rachel, l’artiste bien connue, peint vaillamment des tableaux de fleurs à soixante-dix ans, après avoir mis au monde dix enfans.

Est-il besoin de le dire, cette force de tempérament et cette richesse de santé ne vont pas toujours sans quelque grossièreté. Même dans la bonne société on peut relever çà et là certains écarts de ton ou de tenue. Chez les plus raffinés, le langage est parfois d’une liberté excessive, et, à côté de prétentions à la délicatesse la plus subtile, il offre des allusions choquantes et plus que risquées. On est un peu étonné de voir Brederoo dédier à Maria Tesselschade une comédie dont la lecture devait causer quelque embarras à une honnête femme ; on s’explique moins encore qu’un homme grave dans la situation de Cats puisse parler des mœurs conjugales avec un cynisme pareil au sien, ou qu’un personnage aristocratique tel que Hooft énumère les beautés de sa première femme avec la même complaisance et le même luxe de détails que s’il s’agissait de la Danaé du Titien[1]. Il ne faut pas oublier, cependant, que ce manque de retenue n’était pas, en ce temps, un privilège de la Hollande. Chez nous aussi, bien que la société lût depuis plus longtemps polie, on ne se faisait pas faute de ces gaillardises, à en juger par les contes qu’entendaient les belles dames à la cour de nos rois ou par les livres qui trouvaient place dans leurs bibliothèques.

Si même chez les gens cultivés et qui visent à la distinction, on rencontre ces anomalies ou ces restes de grossièreté, on peut penser qu’ils seront plus fréquens et mieux marqués parmi les masses. Bien que d’ordinaire les allures de ce peuple soient calmes et lentes et qu’au milieu même de son activité il ne semble pas qu’il se presse, on dirait qu’à certains momens il sort de lui-même pour se livrer à de véritables débauches de mouvement et d’agitation. Pendant les longs jours de réclusion de l’hiver, quand par hasard survient une après-midi de soleil, il y a comme un enivrement qui pousse citadins et paysans à sortir de leurs demeures pour se répandre en foule sur la glace des rivières ou des fossés des villes. Patineurs, glisseurs, promeneurs en traîneaux, s’y pressent dans tous les sens et offrent un spectacle plein d’animation et de gaité. Ce spectacle, qui bien souvent a défrayé le talent de peintres hollandais, tels que

  1. Busken-Huet ; t. III, p. 204.