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lui donner les proportions extraordinaires d’un Hercule colossal ? L’indication anatomique tient aussi, dans ce géant, une place beaucoup trop importante. A distance, on reste encore frappé par les saillies violentes de ses veines gonflées, presque aussi fortement indiquées que sur un mannequin d’amphithéâtre. Cette insistance sur les détails nuit à l’aspect général d’une figure assez grandiose, dont le rude effort est bien indiqué, et lui enlève de sa simplicité et de sa vie.

Un des jeunes sculpteurs que ce Salon aura mis en lumière est un Portugais, M. Teixera-Lopès, qui paraît avoir une intelligence pénétrante et grave des conditions dans lesquelles la réalité bien vue et bien comprise peut devenir la sculpture et la poésie. Son marbre, Caïn, est déjà une bonne étude : il a vu le meurtrier, à peine adolescent, assis, dans une attitude pensive, laissant présager ses crimes futurs par l’expression renfrognée et jalouse de sa physionomie ingrate. Le morceau est exécuté avec soin. Son groupe de la Veuve est plus personnel. L’artiste a su y introduire, d’une façon remarquable, une assez forte dose de sensibilité et d’émotion, sans verser dans la sentimentalité, ni compromettre l’équilibre et le calme de son œuvre plastique. Une femme du peuple, en jupons, la chemise dégrafée, l’air triste et préoccupé, est assise près du berceau de son enfant. Tandis qu’absorbée par sa douleur elle regarde devant elle, dans le passé ou dans l’avenir, sans rien voir, l’enfant, assis sur ses couvertures, se dresse vers elle et, de ses petites mains qui tirent sa chemise et s’attachent à son sein, la rappelle naïvement à la vie et à son devoir. Le sentiment est parfait de justesse et de naturel ; on sent, d’un bout à l’autre, l’émotion soutenue, mais une émotion qui ne trouble ni les yeux ni la main de l’artiste et qu’il exprime simplement et sobrement. C’est dans cet ordre d’idées la meilleure pièce de l’exposition.

Nous pourrions nous arrêter encore devant un certain nombre d’agréables figures sans prétentions qui montrent combien le sentiment sculptural et l’habileté à l’exprimer sont répandus aujourd’hui dans nos ateliers. Quelques bronzes et quelques marbres, tels que la Guêpe, de M. François Moreau ; Dans les Bois, de M. Eugène Robert ; la Fin du Rêve, par M. Dampt, nous étaient déjà connus par des études préliminaires ; on ne les revoit qu’avec plus de plaisir. Le Renard et les Raisins, par M. Mulot, nous offre une agréable figure en marbre de jeune femme tenant la grappe haute à un jeune renardeau. Le Tireur d’arc, par M. Gardet, un petit bonhomme bien cambré, bien découplé, regardant filer sa flèche, en marbre aussi, est exécuté avec un soin parfait, par une main d’ouvrier plus habile encore. Des qualités techniques du