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marbre, M. Carlier, ait obtenu, pour la plus haute récompense, 60 voix, tandis que les plus favorisés après lui, MM. Albert Lefeuvre et Marqueste, n’arrivaient qu’à 25 et 12, et nous regretterons que cette année encore, dans cette section de sculpture où les œuvres complètes sont aussi nombreuses qu’elles sont rares chez les peintres, les artistes ne soient pas parvenus à s’entendre pour affirmer eux-mêmes une supériorité que l’opinion publique leur accorde déjà.

L’observation faite à propos du Gilliatt de M. Carlier s’appliquerait avec plus de raison encore à un certain nombre de figures impersonnelles, n’ayant pas pris leurs noms dans un poème ou dans un roman, destinées à rappeler aux hommes les différentes formes de leur activité, soit dans les travaux des champs, soit dans ceux de l’industrie. L’attention des sculpteurs se porte, depuis quelques années, de ce côté, et c’est avec raison, car il y a dans les mouvemens et dans les expressions des paysans et des ouvriers des quantités de choses non encore racontées et fort bonnes à présenter aux yeux de tous. L’attitude et le geste d’un paysan, par exemple, qui s’assied au bord d’un champ pour réparer sa faux peuvent devenir une attitude et un geste sculpturaux parce qu’ils sont naturels, simples, aisés ; mais, en les reproduisant, il faut prendre un parti : soit traiter résolument son sujet à la moderne, comme l’a fait un peintre, M. Lhermitte, et, dans ce cas, préciser, autant qu’on veut et qu’on peut, son paysan, par ses vêtemens et par son type ; soit l’agrandir en le généralisant, et, alors, il ne suffit pas de le simplifier en le dépouillant de ses habits, il faut encore et surtout le simplifier dans ses particularités ethniques et dans sa physionomie. Le Rebatteur de faux, par M. Lange Guglielmo, n’aurait pas été une moins bonne figure si le sculpteur, au lieu d’insister sur l’âge, les lourdeurs, les callosités, les rides du paysan robuste, mais déjà trop marqué, qui lui a servi de modèle, avait seulement consulté la nature pour donner à cette figure nue, simple et bien posée, sa précision anatomique. M. Boucher, lui, vise nettement à la synthèse, car il donne pour épigraphe à son paysan soulevant, avec effort, d’un coup de bêche, une motte de terre, ces mots solennels : A la Terre. M. Boucher a toujours eu le sentiment de la grandeur et, dans ce trio de Coureurs, désormais célèbre, qui est resté son chef-d’œuvre, il a prouvé qu’un véritable artiste peut toujours trouver dans la réalité immédiate des sujets nouveaux, d’une poésie facilement saisissable, et en faire des sujets généraux par une simplification intelligente et une transposition habile. Était-il bien nécessaire, pour transporter dans l’idéal, pour ennoblir et agrandir ce paysan accomplissant le mouvement le plus habituel à tous les jardiniers et terrassiers, de