Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/25

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hallali! 19 accommodant un visage d’une régularité passable... Au moral : une excellente personne, douce et faible, incapable de faire souffrir qui que ce soit pour son plaisir ou même pour son utilité, fût-ce une bête... — Halte-là ! interrompit M. Real à demi rieur. Vous vous van- tez! Car enfin, à moins que je ne sois rien, je suis toujours bien une bête... — Ah! fit la jeune fille mécontente et sérieuse. Encore! Tou- jours ! — Que voulez-vous? Je vous aime jusqu’à me déjuger, jusqu’à me démentir moi-même... Je ne suis plus moi... Je crois à l’amour poétique, presque à l’amour désintéressé ; je crois à l’union des âmes... Je croirai peut-être bientôt à leur réunion dans les étoiles!.. "Vous voyez cela, vous assistez à cette métamorphose pitoyable et touchante; vous me souriez... et vous ne m’aimez pas!.. Et vous dites que vous êtes bonne! Allons donc! M lie Hart paraissait émue ou mal à l’aise en écoutant cette apo- strophe, enjouée pour la forme, mais vraiment chaleureuse et con- vaincue. M. Real crut s’apercevoir d’un commencement de dé- tresse. Il se savait sympathique, presque aimé, quoiqu’il se heurtât à une résistance inexpliquée. 11 pouvait donc être hardi, à la con- dition de ne pas être enrayant. Aussi, prenant les mains gantées de M lle Hart, sans les presser dans les siennes, il changea de ton pour lui dire : — Eh bien ! si, si, vous êtes bonne, vraiment bonne, je le sais. Car je vous ai vue, mainte fois, non-seulement compatir aux maux d’ autrui, vertu banale, mais vous associer aux joies de votre prochain, prendre votre part du bonheur échu à des amis ou même à des étrangers, à des inconnus, ce qui est la grande, la véritable caractéristique de la bonté. Souvent, à Nancy, j’ai surpris de vos sourires dont la cause déterminante n’était ni en vous-même, qui étiez préoccupée, ni autour de vous, dans votre voisinage immé- diat, où chacun se montrait également soucieux, mais plus loin, chez des heureux quelconques, dont on venait de vous raconter la félicité... Oui, vous êtes bonne. Soyez donc logique : Aimez-moi. Vous serez heureuse du bonheur que vous me donnerez; tandis que, si vous me repoussez, vous sentirez tout le poids d’un mal- heur qui sera votre ouvrage... Marie-Madeleine, qui avait écouté d’abord avec longanimité, puis avec complaisance, ce nouveau couplet ajouté à une vieille chan- son, avait retiré vivement ses mains au premier mot du refrain : Aimez-moi... — Il faut que je change de costume, dit-elle en rassemblant