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dans son opinion, le plus sage parti pour un homme était d’avoir aussi peu de foi que possible en ce monde-ci, et autant de foi que possible en l’autre. » Dans une de ses poésies, un philosophe se lamente de la triste condition de l’homme, si inférieure, par le fait du libre arbitre qui le laisse exposé à l’erreur, à la condition des bêtes qui suivent leur loi sans se tromper. La conclusion de l’auteur, c’est que le meilleur remède à ses doutes se trouve dans cette loi du charbonnier, que le premier curé de campagne venu pourra lui recommander pour le plus grand repos de son âme. Il aimait à plaisanter sur quelques-uns des sujets qui sont l’effroi des crédules et des superstitieux. Une autre de ses poésies est consacrée à une description humoristique de l’enfer, où l’on voit qu’il n’avait, à l’endroit de Satan, de ses compagnons et de ses sujets, aucune des haines et des terreurs de ses ennemis les puritains. Ses haines et ses terreurs à lui étaient les querelles religieuses, sous quelque forme qu’elles pussent revêtir. « Il disait que tous les livres de controverse devraient être écrits en latin, afin qu’il n’y eût que les lettrés qui les fussent et qu’il n’y eût de disputes que dans les écoles, de crainte d’engendrer des actions parmi le vulgaire ; car les disputes et les controverses sont une manière de guerre civile entretenue par la plume et qui souvent tire l’épée du fourreau. Il disait aussi que tous les livres de prières devraient être écrits en langue vulgaire ; que les excommunications ne devraient pas être assez fréquentes pour s’étendre aux peccadilles et que tout ecclésiastique devrait être bon et affectueux pour ses paroissiens, et non orgueilleux et querelleur. » Mais c’est précisément parce qu’il pensait en philosophe qu’il était fermement attaché à l’église établie, car il croyait, avec son ami Hobbes, qu’il ne doit y avoir d’autres croyances parmi les sujets que celles qui sont approuvées, sanctionnées, ordonnées par le souverain ; et l’église établie, émanation directe de la volonté royale et partie intégrante et inséparable de l’Etat, lui apparaissait comme le meilleur instrument de son idéal de pacification religieuse. Il y avait encore à cet attachement une autre raison plus pratique, qui prenait naissance dans ces événemens auxquels il était si étroitement mêlé. Un jour, Charles lui écrivit pour lui ordonner de recruter parmi les catholiques autant de soldats qu’il le pourrait ; avec les dispositions morales que nous venons de faire connaître, il lui en coûtait peu pour exécuter cet ordre. Il obéit ; donc ; seulement, il était trop éclairé pour ne pas savoir que la guerre faite au roi était encore plus religieuse que politique, et que, par cette mesure, Charles courait le double risque de donner à ses adversaires un argument irréfutable et de partager ses défenseurs. Il sentit très finement qu’il était impolitique de mécontenter l’église établie, non-seulement parce que la