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longtemps à l’état de jeune femme et se fanent prématurément. — Une circonstance disait clairement que Mlle O-Hana-San, — c’était son nom, — se rattachait au monde élégant et fortuné qui suit les décrets de la mode jusque dans leurs exigences les plus coûteuses : elle portait les gants, la robe, et les bottines en vogue depuis deux ou trois ans dans la haute société féminine de la capitale. Et cette armure d’étoile, si serrée, si opposée à la liberté des mouvemens accoutumés à l’ampleur des manches tombantes, si peu appropriée à l’installation d’un intérieur où on s’agenouille pour s’asseoir, n’était pas un travestissement imposé par le caprice du jour, mais une transformation définitive ; une décision impériale ayant récemment imposé aux dames le port de la toilette occidentale aux réceptions de la cour, comme quinze ans auparavant l’habit noir a été prescrit aux fonctionnaires dans les soirées officielles. Les sourcils rasés et rehaussés par la peinture de deux doigts sur le front, la chevelure nouée à la hauteur de la nuque par un cordonnet et de là retombant en crinière sur les épaules, la veste blanche et le pantalon de cérémonie en soie rouge éclatante, aux deux jupes évasées et traînantes, des suivantes de l’impératrice, sont devenus de l’histoire. La robe aux plis droits qui donne une certaine majesté à la marche glissante des pieds déchaussés sur les nattes, n’a pas disparu, mais a pris un caractère d’infériorité. Bien immérité, du reste, ce dédain soudainement affiché pour l’ancien et glorieux costume ; bien déraisonnable cet engouement pour la réforme à l’ordre du jour. La critique est trop aisée en face de la gaucherie très compréhensible, mais irrémédiable de ces servantes du tyrannique usage, assujetties à un accoutrement qui n’est pas l’expression de la rechercha féminine en fait d’embellissement. Mlle O-Hana-San appartenait du moins à une génération malléable, et grâce à sa souplesse enfantine s’était affranchie de la gêne du maintien pour entrer dans le naturel de la pose qui est la première condition d’une tenue élégante. Sa physionomie intelligente et douce, ses manières exemptes de timidité comme de pétulance, — la vivacité est mauvais genre au Japon, — ses jolis traits et son amabilité en faisaient une petite personne absolument séduisante.

Nos nouvelles connaissances se rendaient comme nous à Kusatsu ; il fut convenu que nous ferions route ensemble.

Mlle O-Hana-San nous raconta qu’elle faisait ses études au Kazokugakko (école des nobles) de Tokio. On enseigne une langue européenne aux élèves de cette aristocratique institution ; aussi apprenait-elle l’anglais :

You speak english, miss ?