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HALLALI ! 583 la tendresse, comme aussi sous la pression d’une douce habitude. Aussi évitait-il tout retour vers le passé, dont, pas plus que Marie- Madeleine, il n’avait intérêt à rappeler les douleurs et les humilia- tions. On eût dit que, s’étant connus la veille, ils profitaient de la paix d’une maison close pour se mieux connaître, sans que la jeune fille eût à redouter les entreprises de l’homme tendre et respectueux qu’elle avait accueilli. C’étaient des causeries prolongées jusqu’à la chute du jour, des causeries tantôt sérieuses, tantôt enjouées, mais jamais badines, ni même lutiles, et où n’intervenait jamais le souvenir des parens non plus que celui des amis de Marie-Made- leine. Frantz s’était proposé d’isoler l’esprit delà jeune fille, comme les circonstances lui avaient permis d’isoler sa personne. Il voulait être seul désormais dans cette imagination et dans cette pensée, pour les gouverner à sa guise, mais surtout pour en défendre l’ac- cès aux revenans qui auraient pu les hanter. — Avec ses ressources d’intelligence et de parole, il n’était pas inférieur à cette tâche dif- ficile d’absorber toute l’attention d’une femme naguère préoccupée et malheureuse. Mais il savait que la nécessité d’un dénoûment s’imposerait dans un avenir prochain, soit que M me de Buttencourt se mît en tête de hâter un peu cette conclusion traînante, soit que quelque événement domestique obligeât la pseudo-fiancée à rompre ou à confirmer publiquement le pacte apparent auquel elle avait souscrit. De sorte qu’il se prit à attendre, avec une impatience mê- lée d’inquiétude, l’occasion de ramener Marie-Madeleine à la con- templation d’un but qu’elle paraissait avoir perdu de vue. Ce fut encore Edgar Lecourtois qui se chargea de précipiter le cours des choses. Il venait de rentrer à Nancy, après un séjour dans les propriétés rurales de son père. Et, n’ayant pas manqué d’apprendre, par les échos de la place de la Carrière, que M. Real, — Frantz Real, le professeur défroqué, l’homme célèbre, l’objet de la curiosité des Nancéens, un Nancéen lui-même, — semblait en pleine voie d’ac- cordailles avec la belle Marie-Madeleine Hait, il songea à se rendre chez son ancien rival. Celui-ci, qui s’était logé dans la maison autrefois habitée par lui, n’était pas difficile à trouver. Lecourtois eut bientôt décou- vert le gîte. — Si bien que Frantz le vit entrer, un beau soir, dans le petit appartement de sous-lieutenant qu’il occupait à titre pro- visoire. — Mon cher monsieur Real, j’ai à vous parler. — Mon cher monsieur Lecourtois, je vous écoute. — Vous me croirez?