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pâle tête ceinte d’un pâle cercle d’or. Des pêcheurs allaient l’enterrer pieusement sous un tertre. Et chacun de ces rêves signifiait un règne.

Un soir d’automne, saint Aubert avait été plus triste que de coutume. Le ciel était d’un noir d’encre ; l’horizon s’était hérissé d’écume. La houle qui grondait au loin répondait au gémissement de la forêt. Puis une éclaircie s’était faite. Il s’endormit paisiblement. Alors il fit un rêve splendide qui ne ressemblait pas à ses rêves précédens. Il vit un ange, vêtu comme un guerrier brillant et armé d’un casque d’or, descendre sur le rocher. L’ange toucha de son épée le sommet du vieux roc païen, qui s’écroula avec fracas dans la mer. A sa place poussa une haute église pleine de guerriers vêtus de fer, au-dessus desquels un chœur d’anges en prière chantait une céleste et merveilleuse mélodie. Quand l’évêque s’éveilla, il se demanda ce que voulait dire cette vision sans pouvoir la comprendre. Il s’imposa trois jours de jeûne, après lesquels l’archange-guerrier lui apparut de nouveau en rêve. Cette fois-ci, son armure resplendissait de lumière. Sa face luisait comme un soleil et son glaive ressemblait à un éclair fixé dans son poing. Il regardait l’évêque d’une manière significative. — Qui es-tu ? demanda l’évêque. — L’apparition tourna vers lui son épée, et Aubert eut peur. Il pencha la tête vers les saintes écritures ouvertes sur ses genoux. Aussitôt un ouragan passa sur le livre et en froissa toutes les feuilles. Il resta ouvert au XIIe chapitre de l’Apocalypse. La pointe de l’épée s’arrêta sur un passage, et Aubert fut à la lumière de l’ange : « Alors il y eut un combat dans le ciel, Michel et ses anges combattaient contre le dragon et le dragon combattait contre eux avec ses anges… Alors j’entendis dans le ciel une grande voix qui disait : C’est maintenant qu’est venu le salut et la force, et le règne de notre Dieu et la puissance de son Christ. » — « Je suis Michel, dit l’archange, et je protège ceux qui combattent pour le Christ. Tu m’élèveras un temple ici, pour que les enfans de ce pays m’invoquent et que je vienne à leur aide. » Et il disparut.

Aubert, timide par nature, n’osa obéir à cette injonction. Pourquoi lui demandait-on cela ? Quel but avait ce temple ? Qu’était-ce après tout que ce Michel ? Peut-être une tentation du diable, sur ce lieu voué à ses œuvres par d’anciens maléfices. Il se souvenait aussi d’un passage de l’apôtre Jean qui conseille d’éprouver les esprits. Aubert s’enveloppa précipitamment de sa dalmatique et quitta le rocher païen avec l’intention de n’y plus revenir. Il redoubla de jeunes et d’aumônes. Mais une attraction plus forte que toutes ses terreurs le ramena vers le Mons Tumba. Lorsqu’il