Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les horribles exhalaisons de la boue parisienne : pour peu qu’on eût le nez délicat, il fallait se munir d’un bouquet ou d’un flacon d’odeur.

Des édifices très vieux, très noirs, énormes, serrés dans la gaine des maisons qui champignonnaient à leurs pieds, découpaient, de place en place, l’ombre humide de leur masse. Des ruelles en coupe-gorge, aboutissant à l’arche difforme de quelque ancien logis, des carrefours biscornus, avec des croix ou des poteaux placés de guingois, des tourelles en saillie, des bouts d’arcades affaissés sous le poids de maisons ventrues, une infinité de boutiques, d’échoppes, d’auvens encombrant des passages déjà trop étroits, des cris, des appels, des disputes, des rixes et, par-dessus tout, le bruit sempiternel des cloches appelant la pieuse population parisienne à la prière, telle était la première impression que Paris faisait sur le visiteur étranger. Ce n’était pas tant une belle ville qu’une grande ville, un monde, comme disent les contemporains. Par la saleté, par l’enchevêtrement des rues, par le bariolage des costumes et par le roulement pédestre de la foule, le Paris de 1614 devait présenter une figure assez semblable à celle qu’ont gardée, aujourd’hui, les grandes villes de l’Orient.

Le voyageur cherchait la Seine, mais il ne la trouvait pas facilement. La ligne des quais étant à peine commencée, les maisons s’avançaient jusqu’au bord et trempaient dans l’eau leurs pieds de bois. Elles encombraient les ponts et dégringolaient jusque sur la berge. On se perdait dans un dédale de rues dont les noms baroques donnent la note de l’esprit grossièrement hilare du badaud parisien : rue Breneuse, rue Trousse-Vache, rue Jean-Pain-Mollet, rue Trop-Va-Qui-Dure, rue du Renard-Qui-Pêche.

Le premier monument qu’on rencontrait en descendant vers la Seine était le Grand-Châtelet. Jadis centre et réduit de la forteresse parisienne, ce bâtiment antique, avec ses tours massives, sa porte étroite, ses hautes murailles sombres, survivait, en plein cœur de la ville, comme un témoin de la vie âpre et soupçonneuse qu’avait menée le moyen âge. Ce n’était plus une citadelle, mais c’était encore une prison. On énumérait avec terreur les noms sinistres de ses cachots : les Chaînes, les Boucheries, la Grièche, la Barbarie, les Oubliettes, la Chausse d’hypocras, où les prisonniers avaient les pieds dans l’eau et ne pouvaient se tenir ni debout, ni assis ; la Fosse, où l’on descendait le condamné par une corde, comme un seau dans un puits, et la Fin d’aise, qui était remplie d’ordures et de reptiles.

Le Châtelet était le centre de la police et de la justice municipales. Le prévôt, représentant l’autorité du duc de France,