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trouver plus avancé que les Euclide, les Descartes, les Leibniz ou les Newton. Les disciples de Spencer auront beau déclamer contre les livres et le « savoir livresque, » nous leur répondrons qu’il faut distinguer, — ce qu’ils ne font point, — entre la première éducation et la seconde. On ne doit pas abuser des livres avec l’enfant encore jeune, dont le développement spontané veut être respecté ; mais, pour le second âge, le livre est la base même de l’instruction : il établit un contraste évident entre l’éducation spontanée et l’éducation artificielle. L’éducation, en somme, a deux facteurs : la nature et la civilisation ; le livre représente le second facteur, devenu aujourd’hui le plus puissant, et qu’on pourrait appeler aussi le facteur social. Le livre, c’est l’évolution sociale à la fois fixée et accélérée.

Il résulte de ce qui précède que le parallélisme entre l’individu et l’espèce doit porter seulement sur des facultés très générales et sur leur emploi légitime. On peut accorder encore qu’il existe des états généraux de l’esprit par où il est naturel que l’individu passe, comme l’humanité même y a passé. Auguste Comte voulait, en vertu de sa doctrine, qu’on s’élevât progressivement de l’état théologique à l’état métaphysique et de ce dernier à l’état positif. La théorie des trois états était contestable, mais le principe était vrai, et il est certain que l’éducation est une série graduée « d’états d’âme, » un développement de l’âme collective au sein de l’individu. L’esprit est comme le corps, il a ses âges, ne demandez point à un enfant ou à un jeune homme de ressembler à un vieillard.

Si, du point de vue subjectif des facultés à développer, nous passons au point de vue des objets d’enseignement, la loi de parallélisme se maintient encore. Il y a des groupes d’objets avec lesquels l’humanité s’est familiarisée par une gradation qui s’impose aussi aux individus. Mais ce sont seulement les résultats généraux et, pour ainsi dire, les formes générales du savoir humain qui doivent se refléter tour à tour dans l’esprit des jeunes gens. Les lois du développement physiologique sont d’accord avec cette théorie, car, ce que l’individu reproduit successivement dans son évolution, ce sont seulement les formes typiques intermédiaires, conséquemment les synthèses successives où sont venus s’enregistrer les divers progrès accomplis. Platon aurait dit que ce sont des idées qui se réalisent l’une après l’autre. Comme l’enseignement scientifique, l’enseignement littéraire et historique doit procéder par synthèses, c’est-à-dire faire connaître l’une après l’autre ces grandes formes typiques de l’esprit humain, dans ce qu’elles avaient de bon, de beau, de durable, — et cela selon l’ordre d’appropriation successive à l’esprit des enfans.