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condition de tous les autres : sans la science théorique, point d’industrie ; sans les sciences morales et sociales, point de sécurité politique ni de progrès social. Il est donc de la plus haute importance, pour un peuple, d’organiser un enseignement secondaire d’où sortent, par sélection, les capacités supérieures et qui, d’autre part, fournisse au pays une classe éclairée, vraiment libérale, vraiment digne, par ses vues désintéressées, d’être la classe dirigeante. Former des hommes aux vues désintéressées dans l’ordre de la spéculation et dans l’ordre politique, c’est l’objet même de l’éducation secondaire, qui, pour cette raison, n’est ni directement professionnelle ni « spéciale. » En dehors de cette sphère, — tantôt au-dessus, tantôt au-dessous, — il y a place pour des enseignemens professionnels, soit d’ordre supérieur, soit d’ordre inférieur ; mais il est essentiel de maintenir la hiérarchie de l’enseignement, de ne pas vouloir qu’un enseignement professionnel plus ou moins déguisé, aux vues industrielles, commerciales, agricoles, devienne, sous le nom d’enseignement spécial ou d’enseignement français, l’égal des « humanités » véritables, c’est-à-dire scientifiques, littéraires et philosophiques. L’enseignement professionnel et l’enseignement spécial doivent être organisés franchement et fortement, à tous les degrés, sous toutes les formes ; mais ils ne doivent pas nuire à l’enseignement des humanités, ni surtout s’y substituer. En un mot, l’utilitarisme économique ne doit pas étouffer le culte désintéressé de la science, des lettres, des arts, de la philosophie et de la politique, car le suprême intérêt pour une nation, c’est ce désintéressement même.

Tel est donc, répétons-le, le premier principe dont nous devons partir : un peuple a besoin tout ensemble d’un enseignement libéral fortement organisé et d’enseignemens spéciaux ou professionnels non moins bien appropriés aux utilités particulières qu’ils représentent. Notre second principe, c’est que l’instruction secondaire doit être en harmonie avec l’esprit même de la nation, avec ses habitudes et ses aptitudes, avec son histoire, avec les traditions mêmes de son éducation, de sa langue, de sa littérature et de ses arts ; bref, avec les formes et les conditions essentielles de l’évolution nationale. Autre est l’enseignement primaire, autre est l’enseignement secondaire. Ce dernier seul, ayant pour objet de former des esprits éclairés, — c’est-à-dire consciens d’eux-mêmes, de leur fonction individuelle et nationale comme de leurs origines, — doit résumer les grandes phases de la civilisation nationale ; il doit entretenir et développer un organisme spirituel dans lequel revivent les organismes divers dont l’ensemble a fait la vie de la nation. Occupons-nous donc de ce que doit être, en France, une éducation libérale,