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toujours fidèle : de là, chez elle comme chez beaucoup : de personnes, ces désaccords douloureusement compliqués, ces actes inattendus et ce chaos de sentimens qui déconcertent l’observateur le plus attentif.

La duchesse de Choiseul avait le secret de cette nature singulière : médecin habile, elle sondait avec prudence la plaie et indiquait fortement le remède, profitant, des aveux de la malade, l’encourageant dans ses velléités de gaîté : « Savez-vous pourquoi vous vous ennuyez tant, ma chère enfant ? C’est justement par la peine que vous prenez d’éviter, de prévoir, de combattre l’ennui ; vivez au jour la journée, prenez le temps comme il vient, profitez de tous les instans, et avec cela vous verrez que vous ne vous ennuierez pas. Si les circonstances vous sont contraires, cédez au torrent et ne prétendez pas y résister ; si l’on, oppose une digue trop faible en raison du volume d’eau qu’elle doit contenir, elle sera brisée ; mais ouvrez la digue, L’eau s’écoulera et la digue ne sera seulement pas endommagée ; croyez-moi, le mal qu’on se résout à supporter est bientôt passé et il n’en reste rien après lui ; surtout évitez le malheur toujours dupe et superflu de la crainte. Celui-là n’est pas dans la nature des choses, il n’est que dans la nôtre, et nous doublons le mal par l’action rétrospective que nous lui donnons en le craignant… Ah ! mon Dieu ! je pense bien comme vous sur l’humeur ; c’est un défaut qui équivaut à tous les vices ; il rend injuste, parce qu’on ne peut se justifier de ses propres torts que par son injustice ; il rend haineux parce que l’on hait ceux à qui l’on a fait injustice ; il rend vindicatif, parce que le propre de la haine est la vengeance ! Il donne de la férocité au caractère le plus doux, de la dureté au cœur le plus sensible ; il rend inconséquent parce qu’il rend léger ; il donne l’apparence de la fausseté parce qu’il rend inconséquent… Vous me parlez de votre tristesse avec la plus grande gaîté et de votre ennui de la façon la plus amusante du monde. Vous faites donc aussi du courage, ma chère enfant ? C’est ce qu’on a de mieux à faire quand on n’en a pas. Entre en faire et en avoir, il y a loin ; mais c’est pourtant à force d’en faire qu’on cm acquiert. Oh ! combien j’en ai fait dans ma vie !… Soupez peu, ouvrez vos fenêtres, promenez-vous en carrosse et appréciez les choses et les gens. Avec cela vous aimerez peu, mais vous, haïrez peu aussi. Vous n’aurez pas de grandes jouissances, mais vous n’aurez, pas non plus de grands mécomptes… » Ailleurs elle lui conseille la lecture qui fait supporter l’ignorance et la vie ; la vie, parce que la connaissance des maux des siècles passés nous apprend à supporter ceux du nôtre ; l’ignorance, parce que l’histoire ne nous montre que ce que nous avons sous les yeux. Elle