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donné aux plus intimes sentimens humains une expression d’un charme indéfinissable et profond. Il n’a rien inventé, il a dégagé la poésie de tout, de la nature et des cultes domestiques, de l’amour terrestre et des tourmens de l’idéal. C’est son originalité, et quelles que soient les prétentions des écoles qui passent, quelles que soient les fantaisies de la mode, il reste le poète des âmes qui souffrent, des cœurs attendris, de tous ceux qu’agitent les nobles inquiétudes et qui tournent leur regard vers l’infini. C’est la poésie d’hier qui sera encore la poésie de demain, parce qu’elle jaillit spontanément du plus profond de l’âme humaine.

Que Lamartine ait été plus contesté comme politique que comme poète, et qu’il ait été plus exposé, dans son rôle public, aux reviremens, aux abandons de l’opinion, c’est possible. Il est certain qu’il a eu dans sa vie de dangereuses hardiesses et qu’il n’a pas toujours craint les aventures, que l’imagination, en lui, domina parfois la raison. Il y a eu cependant deux ou trois circonstances des plus décisives, — le retour des cendres de l’empereur, les fortifications de Paris, — où il a vu plus clair que tout le monde, parce qu’avec son imagination, avec son intuition, il voyait de plus loin ou de plus haut. Il avait un sentiment profond des grands courans du siècle, et, en fin de compte, s’il s’est laissé quelquefois abuser, s’il lui est arrivé un jour, le 24 février 1848, de céder aux fascinations d’un joueur audacieux, il gardait assez de hauteur d’âme pour refuser de plier devant les factions qu’il avait déchaînées, pour ne descendre jamais aux capitulations avilissantes ou aux basses manœuvres. En se donnant à la république, il ne lui avait sacrifié ni son indépendance, ni le sentiment du droit, ni la dignité de son libéralisme, et ce n’est pas lui qui aurait consenti à faire de la république une petite domination intéressée, une persécution organisée des consciences. Lamartine relevait tout, même ses erreurs, ses banalités ou ses faiblesses, dans sa politique comme dans sa poésie, parce que l’homme, en lui, avait tous les dons innés d’élévation et de noblesse.

Ce fut assurément un des mortels les mieux doués, pour qui la nature et l’éducation avaient tout fait ; elles lui avaient donné, avec la grâce et la fécondité du génie, l’art de charmer et de subjuguer les hommes. Il avait été gâté par la fortune, trop gâté peut-être. Il ne sut jamais compter ni avec lui-même ni avec les autres. Il l’expia cruellement par un déclin assombri après une éclatante popularité, par la ruine qui attrista sa vieillesse après l’aisance ou le faste de sa jeunesse. Tout ce qu’on peut dire, c’est que cette prodigalité qui lui a été souvent rappelée, qu’il a si durement expiée, il l’avait pour les autres encore plus que pour lui. Il ne résistait pas au plaisir d’un bienfait. Il aimait à répandre autour de lui ces libéralités dont le souvenir se réveillait