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récemment dans son pays natal comme pour justifier ce qu’il avait dit un jour à un de ses détracteurs, à l’auteur de la Némésis, qui lui reprochait sa fortune prodigue :

Tu peux sans le ternir me reprocher cet or.
D’autres bouches un jour te diront sur ma tombe
 Où fut enfoui mon trésor !


Tout cela est passé ; il ne reste de Lamartine que le souvenir d’une grande nature, et c’est pourquoi on peut voir un bon signe, un signe salutaire dans ce retour vers un homme qui ne représente que l’idéal, la spiritualité dans la poésie, la justice et la tolérance libérale dans la politique.

Les affaires des nations, surtout les affaires générales de l’Europe, ne se font pas sans doute avec des ovations, des manifestations et des anniversaires. Elles sont trop compliquées, elles embrassent trop d’intérêts qui ne sont pas toujours faciles à concilier, elles impliquent trop de résolutions diverses pour se décider par des discours et des cérémonies qui sont un peu le luxe de tous les pays. Les anniversaires et les manifestations ne laissent pas cependant d’avoir leur place, même parfois une certaine importance dans les affaires du temps, et la ville de Berlin vient d’avoir une de ces cérémonies significatives ; elle vient de célébrer ou de voir célébrer avec tout un appareil militaire le quatre-vingt-dixième anniversaire de la naissance du vieux maréchal de Moltke, redevenu le héros du jour. Celui-là n’est point, certes, un personnage bruyant. Il ne recherche pas les manifestations, il n’a jamais parlé au Reichstag que par exception et toujours sur les affaires militaires. Depuis quelques années déjà, depuis qu’il a quitté le grand état-major général, il vit d’une vie simple et silencieuse, avec ses souvenirs, dans la retraite, dans ses terres de Silésie. L’empereur Guillaume II, en le ramenant un instant sur la scène, en donnant un éclat extraordinaire à la fête de sa quatre-vingt-dixième année, a tenu visiblement à faire une démonstration, en même temps qu’il a voulu honorer le grand serviteur de la Prusse. Le roi de Saxe, quelques autres princes de l’empire, les chefs de l’armée allemande, se sont trouvés rassemblés à Berlin pour faire cortège au vieux soldat. Le jeune empereur s’est plu à visiter M. de Moltke, à lui remettre un bâton de maréchal enrichi de pierreries, et ne pouvant plus rien pour lui, il a voulu l’entourer dans sa demeure des étendards impériaux qui restent d’habitude déposés dans le palais des souverains. Les discours et les complimens n’ont pas manqué ; les télégrammes de félicitations sont aussi venus de toutes parts. C’est tout simple. Ce qu’on a voulu honorer dans le vieux maréchal, c’est tout un passé militaire, c’est l’homme