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Ce n’est pas tout, Pascal enjôle son homme par une dernière considération irrésistible : « Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie, et que, à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude de gain, et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n’avez rien donné. — Oh! ce discours me transporte, me ravit, etc. » Certes, le plus exigeant serait ravi à moins. Mais l’abêtissement, qui use les ressorts et anéantit les résistances de la raison, et qui permet à la foi de la supplanter par l’insinuation de l’habitude, est-il, même sans aucun esprit de sacrifice, sans l’amour, une préparation et un titre suffisans à cette faveur de la grâce? Pascal n’en doute pas ; il se flatte que le cœur, pénétré par la foi, sera transformé et gagné en même temps par la charité, et que l’espérance du gain, peu recommandable en soi, s’épurera pour y devenir la troisième vertu théologale. Malheureusement, tout le pieux machiavélisme de ses calculs menace, dès le début, d’avorter, car le pari qu’il propose à l’incrédule cache une pétition de principe dont celui-ci pourrait bien s’apercevoir avant de l’accepter. Pour que le Dieu de Pascal offre des chances d’exister, encore faut-il que son essence n’y répugne pas; une chose n’est éventuellement possible qu’à la condition préalable de l’être essentiellement. Or nous avons déjà fait observer que ce Dieu n’est pas identique au divin, dont l’essence même est de satisfaire aux suprêmes exigences de la raison et du cœur, dans l’acception métaphysique où nous avons pris le mot divin. L’incrédule est donc en droit d’examiner préalablement la définition de ce Dieu. Or, si elle le satisfait, il n’aura aucune raison de nier son existence, et le pari devient inutile; si elle ne le satisfait pas, il n’aura aucune raison de le préférer au divin qui répond à tous les plus hauts besoins de son âme. La proposition de Pascal lui semblera sans fondement comme sans intérêt ; il ne se sentira ni lié malgré lui ni sollicité par ce pari-là. Au fond, l’existence de la vraie divinité ne saurait être la condition aléatoire d’une gageure ; car, ou bien l’on n’en a aucune idée, et alors on ne sait même pas de quoi dépendent la perte et le gain du pari ; ou bien l’on en a quelque idée, et la moindre qu’on en ait, c’est qu’elle ne peut pas ne pas exister, la nécessité constituant son essence fondamentale, et dès lors la condition aléatoire disparaît.


II.

L’existence du divin proprement dit, tel que nous l’avons défini, étant exigée par la nature même de la raison humaine pour en satisfaire la loi fondamentale, ne peut pas ne pas être admise par