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voie. Le cabinet de Rome ne compte pas s’arrêter là, puisqu’il revendique Kassala et l’accès du Nil Bleu ; c’est l’objet d’une négociation pendante avec le gouvernement britannique ; celui-ci défend énergiquement les droits de l’Egypte, qu’il a absorbés, sur une région d’où les mahdistes ont évincé l’Egypte et l’Angleterre.

Ainsi le versant oriental de l’Afrique a été presque entièrement distribué, depuis dix ans, entre quatre nations européennes. Au sud de l’équateur, l’Allemagne s’y est taillé un large morceau, le plus compact, le mieux délimité. Au-dessous d’elle, le Portugal défend sans grand espoir une situation créée par les siècles, et qui menace de lui échapper au moment où il venait de la relever. L’Italie a choisi sa part entre la Mer-Rouge et le Nil moyen. Partout ailleurs, l’Angleterre possède, protège, conquiert, et prétend à tout ce qui n’est pas encore possédé. Nous n’avons pas d’intérêts dans l’Orient africain ; nous regardons les compétitions de notre île de Madagascar, où la suzeraineté française vient enfin d’être mise hors de contestation.

Dans l’Afrique occidentale, la course aux colonies a été tout aussi rapide, tout aussi jalouse. Mais, de ce côté, les possessions et surtout les prétentions sont singulièrement enchevêtrées. Pour ne pas obscurcir ce résumé, je négligerai les petits établissemens d’ancienne date qui morcèlent le pourtour du golfe de Guinée, depuis Sainte-Marie de Bathurst jusqu’au Congo. Il est probable que ces comptoirs feront l’objet d’échanges compensateurs entre les puissances, à mesure que chacune d’elles se concentrera sur les grandes aires de développement choisies depuis dix ans.

Durant cette période, l’Allemagne a porté son effort sur deux points ; au sud de l’équateur, sur les côtes comprises entre le fleuve Orange et la Kunéné ; au nord, sur la baie de Biafra, commandée par le Cameroun. Du Cameroun, elle semble désireuse d’atteindre, par l’Adamaua et le Baghirmi, le littoral méridional de ce lac Tchad où les explorateurs allemands l’ont si glorieusement annoncée.

L’Angleterre a fait son installation capitale aux bouches du Niger. Elle rayonne de là sur le large éventail du Soudan central, entre Niger et Bénoué, jusqu’à la rive occidentale du lac Tchad et aux premières terrasses sahariennes. C’est peut-être la situation la plus enviable dans toute l’Afrique. Le Bas-Niger et le Bénoué, les seuls grands fleuves où la navigation ne soit pas arrêtée par des chutes, sont les artères les plus commodes et les plus courtes pour atteindre le lac Tchad, pour drainer vers la mer tout le trafic du Soudan. Ils enserrent un pays célébré par les voyageurs pour sa richesse, son climat relativement tempéré. Et le nom de Nigritie ne doit pas nous induire en erreur sur les populations de ce pays ; noirs ou métis berbères, ces peuples ont passé par des développemens historiques