Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inconnus aux tribus nègres des forêts équatoriales. Les Arabes apportèrent dans les royaumes musulmans du Sokoto et du Bornou une demi-civilisation, à peine inférieure à celle qui existait chez leurs frères de la côte méditerranéenne. Les savans du Baghirmi causaient avec Barth d’Aristote et de Platon ; ceux du Bornou disputaient avec lui sur la géographie de Ptolémée. Les grandes villes sont fort rapprochées dans le Sokoto. D’après le peu que l’on connaît de ces régions, elles promettent au premier occupant européen des élémens de prospérité comparables à ceux que les Russes ont trouvés en Asie centrale, dans les riches vallées cultivées par le peuple sarte. — En 1880, des maisons anglaises et françaises se partageaient le négoce aux bouches du Niger ; les nôtres, qui étaient les plus nombreuses, reçurent des propositions séduisantes pour la cession de leurs établissemens ; elles demandèrent conseil et appui au gouvernement français. Le lecteur devine l’accueil fait à ces importuns, qui s’en venaient d’on ne sait quel Niger tracasser les bureaux de Paris. Les maisons françaises acceptèrent les propositions de leurs concurrens anglais et liquidèrent. Ce moment a décidé les destinées du Soudan ; il a préjugé les chances des projets que nous formons aujourd’hui, pour y pénétrer par des voies de plus long parcours. la Royal Niger Company, puissamment constituée en 1886, reçut une charte qui l’autorise à battre monnaie, à faire des lois, à lever des troupes ; elle entretient une flottille de vapeurs qui remonte aujourd’hui le Niger jusqu’aux rapides de Boussang, à 736 kilomètres de la mer ; le Bénoué jusqu’à 720 kilomètres, les deux tiers de la distance entre le lac Tchad et la côte.

La France possède sur l’Atlantique deux vastes territoires : le Congo français, la Sénégambie avec ses nouvelles annexes. Le Congo français, englobant notre ancienne colonie du Gabon, est à cheval sur l’équateur ; nous avons à peine jalonné l’énorme région inscrite entre le littoral et l’Oubanguî ; il est impossible de prévoir actuellement l’avenir réservé à ces terres vierges, opulentes, malsaines, peuplées par des races nègres qui occupent les échelons inférieurs de l’humanité. En revanche, nos vieilles possessions de la Sénégambie se sont prodigieusement développées depuis quelques années. Établis sur tout le cours du Sénégal, nous avons passé de ce bassin dans celui du Niger supérieur. Ce dernier fleuve attend notre pavillon jusqu’à Say ; personne ne nous dispute la boucle du Niger, sauf le chef indigène Ahmadou, que le colonel Archinard est en train de réduire. On vient de constituer administrativement le Soudan français, avec nos acquisitions à l’est du Sénégal. Au-dessous des deux fleuves, en marchant vers la côte de Guinée, nous avons enveloppé et pénétré le massif montagneux du