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que de la campagne, ceux qui se sont dispensés de se trouver au rendez-vous. »

Et le comte de Marcieu, qui commande à Grenoble, écrit le 29 décembre pour se plaindre que le clergé lui-même ne l’aide pas dans les mesures à prendre contre les complots des protestans. — « Je ne dormirai qu’un œil ouvert, dit-il, sur les complots et les intentions des religionnaires : la prêtraille et la mitraille servent fort mal le roi et l’état sur cet article. On ne sait que leur faire cependant. M. et Mme de Montrond (famille de gentilshommes protestans) sont toujours à bon compte, en cage, bien gardés et bien séparés de cette ville. M. d’Audiffret a fait en personne l’enlèvement de ces gentilshommes dangereux et de tous leurs papiers, avec toute la prudence, la dextérité et le bonheur possibles. On n’oublie rien pour procéder à la capture des autres chapeaux noirs et des prédicans qui vont secrètement et nuitamment dans le pays, où ils font cesser depuis quelque temps leurs assemblées afin de nous endormir dans la sécurité. Le calme subit dont nous jouissons en ce moment doit nous précautionner davantage contre les orages fomentés par des émissaires étrangers[1]. »

Belle Isle, en face de cette situation critique, se retrouva tout entier comme dans ses meilleurs jours. Le calme de son attitude, la fermeté, au besoin la sévérité de son langage, en faisant renaître la confiance, rappelèrent au sentiment de l’honneur et du devoir une multitude épeurée. L’action convenait à cette vive nature qui venait de souffrir d’un repos prolongé et dont le péril ranimait et exaltait toutes les facultés. Il ne fallait rien de moins que son ardente énergie pour suppléer à l’insuffisance des moyens dont il disposait. Hommes, vivres, munitions, tout faisait également défaut. Les rangs étaient dégarnis, les magasins vides, les hôpitaux remplis. Se mettre en campagne dans cette pénurie, à travers des régions montagneuses et en pleine saison d’hiver, c’eût été folie. Force fut donc de marquer le pas et de rester en arrêt pendant près de six semaines, tant que les secours promis n’arrivaient pas et que les Espagnols ne se décidaient pas à quitter leurs quartiers d’hiver déjà pris en Savoie pour venir rejoindre leurs alliés. Belle-Isle poussait de véritables cris de désespoir. — « Je suis outré, s’écriait-il, de me voir à la tête d’une armée où tout manque, de déshonorer les armées du roi et moi-même, en demeurant spectateur de ce qu’il plaît à l’ennemi de faire sans pouvoir s’y opposer[2]. »

  1. Le chevalier d’Orléans à Belle-Isle, décembre 1746. — Marcieu à Belle-Isle ; Grenoble, 24 décembre 1746. (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.)
  2. Belle-Isle au comte d’Argenson, 1er, 17, 31 décembre 1746 5 janvier 1747. (Ministère de la guerre.) — Il y a ici, comme pour toutes les campagnes auxquelles le maréchal de Belle-Isle a été mêlé, deux séries de correspondances au ministère de la guerre, l’une officielle et l’autre plus mélangée de lettres et pièces d’un caractère privé. Ce sont les papiers laissés par le maréchal au département, quand la mort l’y surprit.