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Ce qui redoublait son impatience, c’est qu’il se sentait surveillé et critiqué à Versailles, où on se plaisait à comparer la lenteur et l’indécision apparente de ses premiers mouvemens avec l’impétuosité habituelle du maréchal de Saxe. A le voir hésiter ainsi, on se mettait complaisamment à douter qu’il songeât réellement à reprendre l’offensive, et le maréchal de Noailles, qui ne l’aimait guère, lui donnait même, dans une lettre doucereuse, le conseil de ne pas tenter une entreprise si périlleuse. Il lui suffirait, disait-il, de compter, pour venir à bout des Autrichiens, sur les difficultés qu’ils devaient rencontrer eux-mêmes à se nourrir et à faire leur chemin dans un pays épuisé, au milieu de populations hostiles[1].

Le changement survenu dans le ministère ne faisait même que rendre sa situation plus délicate, car par le fait seul peut-être que les deux autres maréchaux avaient pris vivement parti dans les derniers jours contre d’Argenson, Belle-Isle s’était trouvé porté à se ranger de son côté, et il perdait à son tour, avec le ministre disgracié, un ami et un défenseur : — « Je compte, lui écrivait d’Argenson quelques jours après sa révocation, sur des amis tels que vous et Mme la maréchale. Vous êtes constant dans vos amitiés : vous joignez un bon cœur au génie : vous ne devez avoir d’ennemis que les envieux, mais cela s’étend bien loin dans ce temps-ci, et vouloir du bien à sa patrie, c’est vouloir bien du mal à la cour[2]. »

Belle-Isle se montra plus soucieux de mériter les complimens de d’Argenson que de suivre les conseils d’une loyauté douteuse que lui donnait Noailles. A force de peine et en accablant de ses lettres pressantes ses amis, les frères Paris, à Versailles, et Vauréal, à Madrid, il finit par se faire écouter. Les trente bataillons annoncés arrivèrent, et lentement, péniblement les Espagnols se décidèrent à se mettre en route et purent entrer en ligne dès le commencement de janvier. La campagne fut engagée alors, malgré la rigueur de la saison, avec une extrême énergie. Chevert, conduisant une partie des bataillons français, pénétra dans le pâté de montagnes qui domine le cours du Var pour en chasser les Piémontais, tandis que Belle-Isle lui-même, aidé de son frère le chevalier (qui ne le quittait plus) et secondé par les Espagnols, suivait le littoral de la Méditerranée et venait chercher les Autrichiens devant Antibes. Braun, surpris par la vivacité de cette attaque, à laquelle

  1. Le maréchal de Noailles au maréchal de Belle-Isle, 14 janvier 1747. (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.)
  2. D’Argenson à Belle-Isle, 25 janvier 1747. (Ministère de la guerre. — Partie supplémentaire, papiers de Belle-Isle.)