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grimpantes qui retombent en grappes fleuries : un vieillard est assis là-haut sur sa porte ; il fume devant l’horizon de pourpre ; son regard glisse sur nos humbles personnes, mais ne s’y arrête pas. Que lui fait l’étranger qui passe ? Près de lui, des femmes accroupies sur la corniche du rocher, les pieds dans le vide, pareilles à de jolies perruches bariolées, bavardent et grignotent des bonbons. Puis, plus bas, dans le va-et-vient tumultueux de la ville centrale, ce sont des amours de petites chrétiennes qui courent gaîment en faisant claquer leurs socques sur le pavé : taille fine, œil agaçant, corsage dont la grâce menue ressort sur le large pantalon bouffant, et surtout, petit fez assassin, posé coquettement au sommet du crâne, avec deux grosses nattes pendant par derrière, et des boucles folles par devant. Elles ont ainsi je ne sais quoi de vénitien, ces Bosniaques ; elles sont bien orientales cependant lorsqu’elles font jouer leur petit pied nu sur leur marchepied ambulant, ou qu’elles butinent, comme des abeilles, dans le bazar, ou qu’elles s’arrêtent avec un déhanchement exquis, perchées sur une patte, devant l’étalage d’un fruitier sérieux et barbu comme un prophète. Par exemple, pour se coiffer comme elles, il est bon d’avoir quinze ans. Cette petite calotte provocante produit un effet comique sur les vieilles et les laides, les pâles et les bouffies, qui suivent, comme partout, la tyrannie de la mode.

Le lendemain, nous flânons à travers les rues déjà modernes, où l’Orient et l’Occident se coudoient, tantôt sur un pont de pierre en dos d’âne, dont l’arche bossue menace ruine, tantôt sur un pont métallique raide, commode et bête. Traversons le bazar, où la cotonnade imprimée hurle sa note fausse à côté des cuirs délicieusement ouvrés, faufilés d’or ou tailladés en noir et rouge. Voici la rue des armuriers, celle des orfèvres, celle des ferblantiers : quelle aimable ferraille, toute ciselée, semée d’étoiles et de croissons, pleine encore de fantaisie et de rêve, en attendant qu’elle soit détrônée par notre insipide chaudronnerie ! On voudrait s’arrêter partout, marchander ce vase au long col, cette lanterne d’étoffe à couvercle repoussé… Mais le temps presse. Il est midi. Sur les galeries des minarets, brodés de festons d’un vert foncé, l’appel du muezzin retentit et se répercute de proche en proche : mélopée traînante, née sous la tente du nomade, et toute pleine de la grandeur du désert. Soudain, les échoppes se vident ; l’étalage est confié à la bonne foi publique et les mosquées s’emplissent.

Entrons dans la plus importante. Nulle trace de décadence, nul abandon. Ce ne sont pas les marbres de Salonique, décolorés par le temps, ni les vieilles mosaïques byzantines. Ce n’est pas davantage