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livré aux aventures et moins sujet aux surprises que celui qui avait été suivi l’année précédente ; objet d’autant plus nécessaire à négocier à Madrid même que, la direction suprême étant remise désormais aux généraux espagnols, des généraux français n’allaient plus rien avoir à décider eux-mêmes, mais seulement à exécuter et à obéir. Sur ce point, Noailles reçut une satisfaction au moins apparente. Le projet qu’il proposa fut accepté sans trop de difficultés. De savoir s’il n’eût pas été abandonné et dénaturé plus tard et si de brusques fantaisies ne seraient pas venues interrompre le cours des opérations, c’est ce que les malheurs qui suivirent n’ont pas permis de vérifier.

Mais il fallait aussi (et c’était là le point véritablement délicat) avertir la reine que, si les concessions qu’on lui avait arrachées pour le traité de Turin étaient devenues caduques avec le traité lui-même, ce triomphe d’amour-propre, dont elle se vantait bruyamment, ne pouvait être que passager : le retour aux stipulations du traité de Fontainebleau était aussi impossible que jamais, et un sacrifice quelconque, dont l’étendue restait à déterminer, devait être consenti dans l’intérêt supérieur de la paix générale. Sur ce point, la résistance fut plus grande et ne put être complètement vaincue. Au premier mot qui en fut touché : « Allez-vous me répéter, dit le roi d’Espagne d’un ton assez sec, que le traité de Fontainebleau est l’ouvrage de la colère et de l’ambition, comme on me l’a déjà dit ? — Non, sire, répondis-je (c’est Noailles qui parle), je ne vous dirai rien là-dessus, sinon qu’il n’en est pas des traités entre deux grands princes comme des actes que des particuliers passent entre eux, parce que l’exécution des premiers est subordonnée aux événemens. Je vis, ajouta-t-il, que le rouge lui montait au visage, et je changeai de conversation[1]. »

Averti par cette première rencontre de l’orage qu’il allait soulever, et décidé à vivre en paix à tout prix, Noailles prit le parti d’éviter des dialogues dans lesquels l’humeur pourrait s’échauffer de part et d’autre. Il rédigea de sa main un mémoire très bien raisonné, où la situation diplomatique et militaire de toute l’Europe était dépeinte avec assez d’art pour en faire ressortir la nécessité de concessions mutuelles dont on ne demandait à l’Espagne de prendre que la moindre part. Le roi, plutôt la reine (car elle seule avait, comme toujours, le dernier mot), agréa ce mode de communication, et réponse fut faite également par écrit. Rien de plus doux dans le ton et de plus mesuré dans les termes que cette réplique, dont les premières lignes durent même procurer à Noailles un

  1. Noailles au roi, 30 avril 1746. (Correspondance. d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.) — Rousset, t. II, p. 207.