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s’entendre, ils pourraient « réhabiliter » l’argent et annuler à la fois les effets d’une production surabondante et ceux de la répugnance du public. Les gouvernemens ne croient pas à ce pouvoir exorbitant qu’on leur attribue et s’abstiennent. Plus nous allons, moins les partisans du double étalon semblent avoir de chance de revoir « l’argent au 15 1/2 » (15 grammes 1/2 d’argent valent 1 gramme d’or).

La question des prix a été bien souvent agitée par l’économie politique. Le prix joue un rôle immense dans les affaires, on est donc intéressé à savoir comment se forment les prix, comment on parvient à les réduire, comment on les retient à un certain niveau. Au prix se rattache étroitement la valeur, dont la théorie a fait de remarquables progrès. Adam Smith avait distingué deux sortes de valeurs : la valeur d’usage et la valeur d’échange ; ses successeurs en France déclarèrent presque unanimement, à l’exemple de J.-B. Say, qu’il n’y avait qu’une valeur, la valeur d’échange, tandis que la valeur d’usage était purement et simplement l’utilité. Dans les autres pays, les uns suivirent J.-B. Say, les autres maintinrent la double valeur d’Adam Smith. Depuis lors des savans autrichiens et allemands ont montré qu’il y a deux valeurs dont l’une peut être qualifiée de subjective (valeur d’usage) et l’autre d’objective (valeur d’échange). Certains savans ont même été d’avis que, si l’on se décidait pour une valeur unique, c’est à la valeur subjective qu’il faudrait donner la préférence.

C’est, en effet, l’homme qui confère la valeur en constatant qu’un objet peut lui rendre service ; évaluer, c’est mesurer, estimer, énoncer la grandeur du service. On conviendra qu’il y a des degrés dans l’utilité, et que pour le même objet utile la quantité en peut différer : la nourriture d’une semaine vaut évidemment plus, a une plus grande valeur, que la nourriture d’un jour, et les choses qu’on possède en abondance ont moins de valeur que celles dont on est privé. L’homme est seul juge de la valeur qu’une chose a pour lui, de sorte que les évaluations varient d’un individu à un autre ; l’un préfère le cheval, l’autre le bœuf, et si deux individus ne possèdent pas chacun l’objet préféré, ils procéderont à un échange, donnant chacun ce qui lui parait avoir une valeur moindre pour obtenir ce qui lui paraît avoir une valeur supérieure. Ce sont des vues subjectives. Si un objet est estimé à la même valeur par un certain nombre d’hommes, la coïncidence de tant de valeurs subjectives en fait, du moins en apparence, une valeur objective (ce qui veut dire, à peu près, valeur intrinsèque).

Tant qu’une chose reste valeur, on ne sait jamais si l’on a bien évalué, mais dès qu’il y a échange, dès qu’il y a un prix, la valeur