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empêche de s’épanouir ; les petits, au contraire, la laissent indifférente. Les hautes demeures et les arbres élevés sont surtout atteints par ses traits ; car Dieu aime à briser ce qui s’élève.


Toute faute attire à l’homme une punition, mais surtout l’orgueil, qui est la faute irrémissible. La punition méritée est inévitable. Les oracles mêmes et les présages, mal compris du coupable, le trompent et le poussent vers le châtiment qu’il cherche à fuir. Au total, tout est mené, dans les choses humaines, par la volonté divine. L’histoire est le règne des causes finales et de la Providence. Le mot même de Providence est en toutes lettres chez Hérodote. C’est une philosophie de l’histoire telle que Socrate l’aurait pu souhaiter.

On voit sans peine la beauté morale de cette conception, qui rappelle celle de Bossuet. Que les faits la vérifient souvent, ce n’est pas douteux : les conceptions métaphysiques ont presque toujours leur racine dans l’observation de la réalité. Et d’ailleurs, elle a le mérite d’être une loi, c’est-à-dire un principe d’ordre introduit dans la représentation des faits historiques. Par tous ces caractères, elle marque un progrès de l’histoire. Mais on voit aussi, sans qu’il soit besoin d’y insister, la différence qui existe entre cette philosophie et celle d’un Thucydide, par exemple, qui ne cherche pas la loi en dehors des faits, qui travaille surtout, comme Anaxagore, à découvrir les causes secondes, et, sans nier le Nοϋς ni son acte initial, se garde bien de le faire intervenir partout, parce que, pratiquement, cette explication, le plus souvent, n’explique rien.


IV

En histoire, c’est la science qui prépare les matériaux, mais c’est l’art qui les met en œuvre. Or, l’art, qui peut traduire fidèlement, peut aussi trahir. Le choix des procédés d’exposition est, en cette matière, d’une importance capitale.

lin historien est avant tout un narrateur ; la forme du récit est celle qui domine dans tous les ouvrages historiques. Littérairement, ce récit peut être plus ou moins agréable, plus ou moins pathétique, plus ou moins brillant. Au point de vue scientifique (le seul qui nous occupe en ce moment), la question est de savoir s’il donne une idée exacte de la vérité telle que l’historien l’a découverte. Presque tous les récits d’Hérodote sont charmans ; mais quelle image nous donnent-ils de la réalité ? — Beaucoup sont tels qu’un art très scrupuleux et très soucieux de la vérité pourrait les avouer sans hésitation. Mais beaucoup présentent un tout autre caractère. Dans ces derniers, les plus nombreux peut-être, en tout cas les plus curieux, l’imagination poétique est vraiment